Les Scouts musulmans algériens : histoire d’un mouvement de jeunesse patriote
Si la réélection d’Abdelmajid Tebboune à la présidence, le 7 septembre, ne fait aucun doute, le pouvoir algérien craint toutefois un taux de participation qui, s’il s’avérait trop bas, nuirait à la crédibilité du scrutin. Les scouts musulmans, qui soutiennent le chef de l’État, ont donc décidé de s’impliquer. Histoire d’un mouvement marqué par son patriotisme.
« Les SMA [Scouts musulmans algériens] contribuent, dans leurs structures de base, à sensibiliser les citoyens, les jeunes notamment, sur l’importance de la participation aux élections. Nos adhérents sont mobilisés pour sensibiliser le corps électoral sur l’acte électoral en tant que comportement civique ». Ainsi s’est exprimé Abderrahmane Hamzaoui, le commandant général des scouts musulmans algériens, lors d’une conférence tenue à Alger le 29 juin. Les intentions sont claires : mobiliser la jeunesse dans un pays où deux tiers de la population n’a pas encore soufflé sa trentième bougie.
Et même au-delà de cette tranche d’âge, l’appel vise à battre le rappel de toute personne autorisée à voter. C’est donc sans attendre que, depuis la ville de Blida, les SMA ont lancé leur campagne de sensibilisation sous le slogan « Je participe pour la patrie ». Entre rencontres de proximité et actions de sensibilisation, d’une wilaya à l’autre, ils n’hésitent pas à battre le terrain pour aller à échanger avec les citoyens.
Un activisme qui n’étonne pas pour qui connaît la traditionnelle fibre patriotique et nationaliste de ce mouvement éducatif militant. Celui-ci trouve sa source dans la mouvance nationaliste algérienne, durant l’entre-deux-guerres, lorsque celle-ci commence à se mettre sur pied.
Les scouts algériens, nationalistes de la première heure
Mais avant de remonter dans le temps, une précision s’impose sur l’origine du scoutisme. C’est en 1907 en Angleterre, à l’initiative de Lord Baden Powell, que ce mouvement de jeunes volontaires, aujourd’hui mondialement connu, fait ses premiers pas. Son principe fondateur : faire fraterniser les jeunes par l’éducation afin d’œuvrer pour la paix et la sécurité.
Il faut attendre 1930 et la Nahda algérienne, le mouvement de réformes intellectuelles initié au Machrek, un siècle plus tôt, pour voir émerger une version locale de l’organisation de jeunesse. Le mouvement scout français, lui-même né en 1911, est logiquement une source d’inspiration pour les nouveaux SMA. Mais pas la seule. Les scouts algériens puisent aussi aux sources de l’Association des oulémas musulmans d’Algérie (AOMA), adepte de l’islam réformisme.
« Au regard de cette avant-garde révolutionnaire, la création de l’Association des oulémas musulmans d’Algérie à Constantine par le cheikh Abdelhamid Ben Badis, le 5 mai 1931, paraît plus modeste et surtout confinée à la sphère religieuse, ce qui rassure les autorités françaises. Cette association à but culturel et islamique s’inscrit dans le contexte moyen-oriental du réformisme musulman, la salafiya des islamologues français », explique l’historien Pierre Vermeren dans son Histoire de l’Algérie contemporaine, De la Régence d’Alger au Hirak (2022).
Le fonctionnement du mouvement scout nouvellement créé repose sur deux fondamentaux : la religion musulmane et l’amour inconditionnel de la patrie. Une sorte de syncrétisme, à la croisée des chemins, comme l’explique l’historien algérien Mahfoud Kaddache dans Histoire de l’Algérie coloniale (2014) : « À Alger, un des premiers groupes fut fondé en 1930 par Mohamed Bouras, un sportif enthousiasmé par les méthodes éducatives scoutes. À Constantine, c’est le cheikh Ben Badis qui encouragea la fondation duupe Erradja.
Quelques rares Algériens, qui avaient pratiqué le scoutisme dans les associations françaises, rêvaient de voir des groupes de jeunes scouts algériens dirigés par des Algériens. Des moudérès, des instituteurs voulant utiliser la pédagogie scoute pour améliorer et renforcer leur enseignement, créèrent des groupes. Des jeunes, enthousiasmés par la tenue scoute enjolivée par le vert et le rouge des foulards et par le côté paramilitaire des activités – n’a-t-on pas appelé les scouts djounoud el mostaqbel [les soldats de l’avenir] ? – étaient prêts à encadrer des groupes scouts. »
Ces valeurs « paramilitaires » — ordre, respect de la hiérarchie, sens de l’effort, esprit de groupe, amour de la patrie — sont donc effectivement très présentes. Reste toutefois à organiser et à unifier le mouvement, l’un des soucis majeurs de Mohamed Bouras. C’est chose faite en 1939. Mais avec le début de la guerre, les choses se compliquent. Considérant, à juste titre, que la Fédération des scouts musulmans algériens (FSMA) est trop proche des mouvements indépendantistes comme le PPA de Ferhat Abbas ou l’Étoile Nord-Africaine de Messali Hadj, les autorités de Vichy tentent par tous les moyens de noyauter et de la diluer dans le scoutisme français.
À l’avant-garde de la lutte indépendantiste
C’est un échec. Et en 1944, une manifestation géante du scoutisme algérien se déroule dans la ville de Tlemcen. « Grande animation, défilés dans la ville, feu de camp au stade offert à la population, visites des leaders politiques algériens Ferhat Abbas, Brahimi et Messali [les trois leaders qui symbolisaient alors l’unité du nationalisme algérien], invitations de tous les campeurs par les familles tlemciennes sont les faits marquants de ce rassemblement. Le caractère nationaliste des SMA s’affirmait de manière grandiose […] », relate Kaddache dans l’ouvrage collectif De l’Indochine à l’Algérie (2003).
Après la fin de la guerre, les autorités coloniales accentuent leur pression sur le mouvement. Dans la foulée des événements dramatiques de Sétif et de Guelma — désignés par l’expression Madjazar Kasentina, soit « les boucheries du Constantinois » dans l’historiographie algérienne —, les SMA sont interdits dans le Constantinois et en Kabylie.
Les Français n’ont pas oublié les manifestations dans lesquelles les scouts étaient présents en masse, avec tous types de banderoles et de slogans, rappelant leur implication sans faille pour la cause nationale. La gouvernance générale veut d’ailleurs aller plus loin et mettre l’organisation au pas dans toute l’Algérie française. Elle leur impose la levée du drapeau tricolore dans leur camp. Fin de non-recevoir de Mohamed Bouras, qui continue à lever le drapeau aux couleurs blanche et verte. En retour, Paris va tailler sévèrement dans les subventions octroyées au mouvement.
Attention toutefois à ne pas réduire les SMA à un simple rôle de supplétif des partis nationalistes. Ils vivent aussi pleinement leur scoutisme et participent à de nombreux événements internationaux. En particulier celui qui se déroule à Moisson, dans les Yvelines (France), entre le 9 et le 20 août 1947. Connu sous l’appellation de « Jamborée de la paix », ce rassemblement va attirer des milliers de jeunes scouts accourus des quatre coins de la planète pour louer la paix, deux ans seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, et à la veille d’une nouvelle menace, d’une autre teneur, mais plus pernicieuse encore : la guerre froide. En mémoire de cet événement, la municipalité de Moisson a d’ailleurs créé en 2007 un musée de la paix.
Deux ans plus tard, les SMA récidivent à Budapest en participant, cette fois, au Festival mondial de la jeunesse et des étudiants. C’est le second du genre après celui de Prague en 1947. Cet événement se déroule bien sûr sous influence communiste. Ceux qui lui succèderont contribueront à dénoncer et porter au regard du monde la situation en Algérie en permettent aux scouts d’Algérie de se rapprocher des fédérations des autres pays. Quand éclate la guerre de libération, les SMA auront plus que jamais besoin du soutien du scoutisme international. Certains scouts s’engagent auprès du FLN, d’autres choisissent l’exil. De nombreuses figures vont fuir vers la Tunisie ou le Maroc.
Depuis leur création en 1930, les scouts musulmans algériens auront ainsi été acteurs de tous les grands événements de leur pays. Pas étonnant, dès lors, de les voir prendre leur part au déroulement de la présidentielle de 2024 « Quand il est dur d’avancer, ce sont les durs qui avancent », a dit un jour un ancien scout américain devenu président des États-Unis, John F. Kennedy. Une formule qui sied au SMA comme un foulard de scout autour du cou.
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