Au Burkina Faso, Ibrahim Traoré, le grand muet de la Grande Muette
Dans sa lutte contre le terrorisme, le régime burkinabè préconise de ne pas commenter les attaques des jihadistes. L’ampleur de la récente tragédie de Barsalogho compromet cependant cette stratégie et les Burkinabè attendent une déclaration du chef de l’État.
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 3 septembre 2024 Lecture : 2 minutes.
Face à l’adversité terroriste, deux théories s’opposent au pays des hommes intègres. La première préconise l’annonce des bilans des attentats, la compassion publique et le décret de journées de deuil national pour rendre hommage, souder et galvaniser les populations pour la suite du combat. La seconde soutient que l’annonce des tragédies offre aux criminels ce qu’il conviendrait d’appeler « l’extase », selon le propre terme du sommet de la hiérarchie politique actuelle.
Les militaires qui ont pris en main (armée) les destinées d’un Burkina Faso meurtri prône cette seconde stratégie qui navigue entre pudeur institutionnalisée et pensée magique : ce qui n’est pas dit n’existerait pas… C’est ainsi que, dès les premiers mois du régime actuel, les personnalités en charge de la communication étatique ont « invité » la presse nationale à « filtrer » l’information et ont suspendu plusieurs médias internationaux. Mais toute poussière glissée sous le tapis finit par provoquer des protubérances visibles.
Les limites de l’omission médiatique
Comment passer sous le boisseau la mort de plusieurs centaines de personnes, le 24 août, dans la ville de Barsalogho, à une quarantaine de kilomètres de Kaya, la capitale régionale du Centre-Nord ? Le pape François lui-même, du fond de sa tour d’ivoire vaticane, a demandé, à la suite du drame, que la Vierge Marie « aide le peuple bien-aimé du Burkina Faso à retrouver la paix et la sécurité ».
Si le bilan du massacre reste approximatif, faute de communiqué officiel, deux ministres n’ont pu échapper à une visite compatissante au chevet des blessés, au centre hospitalier régional de Kaya. Une démarche relayée par l’Agence d’information du Burkina (AIB). De même, en délégation de condoléances directement liée à l’attaque de Barsalogho, des émissaires de premier plan des présidents nigérien et malien ont fait le déplacement dans la capitale burkinabè.
Le capitaine Ibrahim Traoré (IB) a accordé, lundi 2 septembre, une audience à ces envoyés des alliés de l’Alliance des États du Sahel. Mais, à quelques semaines du deuxième anniversaire de son accession au pouvoir, c’est le silence du chef de l’État qui interpelle l’opinion. Perçue, à tort ou à raison, comme sa page officielle sur le réseau X, le compte Capitaine Ibrahim Traoré –@CapitaineIb226 – n’a pas publié de post depuis le 23 août. On célébrait alors la Journée de l’excellence scolaire.
Tout juste l’opinion a-t-elle appris, par d’autres canaux, que Traoré annulait sa participation au Forum sur la coopération sino-africaine (Focac). Sur les réseaux, ce sont les influenceurs pro-régime qui affirment que « pleurnicher » serait un aveu de faiblesse. Partisan du changement de nom de l’avenue Charles-de-Gaulle, IB semble avoir tout de même assimilé les vertus de la disparition médiatique présidentielle expérimentée par le général français, lors de son évaporation politique dans la ville allemande de Baden-Baden, en plein mai 1968.
Un temps invisible, Traoré a déjà été aperçu, lors de la visite des émissaires maliens et nigériens. Le silence étant partie intégrante de la musique, sans doute le capitaine reviendra-t-il en fanfare, comme il l’avait fait, quelques jours après l’étrange chute d’une roquette sur la télévision nationale, en juin, à proximité de la présidence. Il avait construit un retour en majesté, entre don de sang et prosternation publique, lors de la Tabaski. « Même pas peur »…
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