« Guerre à Gaza », les lueurs de désespoir de Joe Sacco

Le dessinateur américano-maltais, figure de la BD documentaire, revient dans un court album sur la riposte d’Israël après les attentats du 7 octobre 2023 et le lien indéfectible unissant l’État hébreu et les États-Unis. Il livre dans le même geste une réflexion sombre sur la démocratie, l’humanité et la notion d’« auto-défense génocidaire ».

Dans « Guerre à Gaza », Joe Sacco poursuit son travail de documentation de la situation au Moyen-Orient. © JOE SACCO

Dans « Guerre à Gaza », Joe Sacco poursuit son travail de documentation de la situation au Moyen-Orient. © JOE SACCO

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 6 septembre 2024 Lecture : 3 minutes.

« Est-ce un génocide, ou un cas de légitime défense ? Pour contenter tout le monde, disons que c’est les deux. Mais alors, nous aurons besoin d’une nouvelle terminologie. Je propose “auto-défense génocidaire”. Ça devrait donner matière à réflexion aux deux parties. » Ainsi commence Guerre à Gaza, courte bande dessinée de 32 pages signée Joe Sacco. Le dessin qui accompagne ces mots est d’une terrible simplicité : d’énormes bombes noires tombant sur des linceuls blancs.

Ce n’est pas la première fois que l’Américain Joe Sacco, l’un des inventeurs du reportage dessiné, s’intéresse à la situation au Moyen-Orient et en particulier au conflit israélo-palestinien. Il a notamment publié Palestine, une série de neuf fascicules, et une longue enquête, intitulée Gaza 1956, en marge de l’histoire, sur des massacres de civils commis à Khan Younès cette année-là. Son travail repose à la fois sur des recherches documentaires et un travail d’investigation de terrain.

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Embarras à la Maison-Blanche

Guerre à Gaza, qui se nourrit de ces multiples expériences, analyse surtout le lien diplomatico-militaire qui unit Israël et les États-Unis. Sans œillères. « Tout en acheminant par avion des bombes de 2 000 livres et des obus d’artillerie de 155 mm vers Israël, nuit après nuit, la Maison-Blanche déclarait qu’il n’y aurait pas de “ligne rouge” pour son allié enragé, écrit Sacco. Les crimes de guerre des forces de défense israéliennes étaient préapprouvés. Quelques dizaines de milliers de cadavres plus tard, l’équipe de réélection du président Joe Biden, à bout de souffle, a constaté que le carnage ne suscitait pas une réaction positive dans les sondages. Alors que faire ? Changer le récit, bien sûr ! Le Président insisterait désormais pour que quelques camions d’aide humanitaire puissent entrer à Gaza. Certes, les États-Unis continueraient de fournir les armes pour anéantir Gaza, mais désormais, ils pourraient aussi revendiquer le titre de principal bienfaiteur humanitaire. »

Depuis, comme chacun sait, Joe Biden a accumulé les bourdes, démontrant qu’il n’était plus en mesure de diriger les États-Unis, et il a dû céder sa place à sa vice-présidente, Kamala Harris, pour la course à la Maison-Blanche. Comptera-t-on parmi ces « bourdes » ses multiples déclarations sur les bébés israéliens décapités par des terroristes ? Le 11 octobre 2023, Biden affirme en effet : « Je n’aurais jamais pensé voir un jour des images authentifiées de terroristes décapitant des enfants. » Embarras à la Maison-Blanche, où la vision du Président est désavouée dès le lendemain : il n’y a ni bébés ni enfants décapités. Mais peu importe, l’image est frappante. Le 16 novembre suivant, Joe Biden répète : « Ils ont coupé et brûlé les têtes des bébés. » Et rebelote le 12 décembre : « Brûler, décapiter des nourrissons… C’est totalement inhumain. » Puisqu’on vous le dit…

Répression sans limites

Sans jamais défendre le Hamas, Joe Sacco livre une analyse fine des enjeux du conflit – et des atermoiements, pour user d’un euphémisme, de la communauté internationale. « Il est indiscutable que le Hamas a commis de véritables atrocités, mais grâce à l’hallucination de Joe Biden, Israël a bénéficié d’un bonus d’atrocité. Et la voie était tracée pour la juste vengeance qui a frappé le peuple des ténèbres. »

Guerre à Gaza, pourtant, ne porte pas seulement sur les massacres du 7 octobre et la répression sans limites qui les ont suivis. C’est aussi et surtout une réflexion sur la notion de démocratie aujourd’hui. « Les démocraties peuvent être assez habiles pour exclure tel ou tel groupe gênant de leur giron », analyse Joe Sacco, prenant exemple sur l’antique Athènes – qui, déjà, excluait les femmes et pratiquait l’esclavage.

Dans « Guerre à Gaza », Joe Biden est dépeint en président halluciné, incapable de faire pression sur son allié israélien. © JOE SACCO

Dans « Guerre à Gaza », Joe Biden est dépeint en président halluciné, incapable de faire pression sur son allié israélien. © JOE SACCO

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Au bout de la lecture, on aimerait entrevoir une infime lueur d’espoir, un petit éclat de lumière. Joe Sacco, vraisemblablement, n’y croit plus. « L’Occident est venu mourir à Gaza. Une seule vérité s’imposait désormais : l’ordre international basé sur le droit pesait deux mille livres et pouvait anéantir un quartier tout entier. Les animaux humains n’auraient aucun droit à l’eau, encore moins aux Droits de l’homme ; les seuls droits inaliénables d’Amalek seraient la mort, la servitude et la quête de largages des vivres. On pourrait légitimement se demander : les Lumières ont-elles été ensevelies sous les décombres à Gaza, ou les décombres sont-ils la conclusion logique des lumières ? »

Guerre à Gaza, de Joe Sacco, éd. Futuropolis, 34 pages, 6,90 euros.

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