Le parc culturel de Tassili en Algérie, un trésor en perdition
Changement climatique et touristes indélicats menacent la faune et les immenses richesses du parc du Tassili, dont des peintures rupestres qui remontent au néolithique.
L’alarme a été donnée par le département opérationnel de l’Office national du parc culturel du Tassili n’Ajjer [d’Algérie]. Au cours d’une mission de contrôle et de surveillance des sites naturels et culturels de la région de la Tadrart, au sud-est de Djanet, durant la première semaine d’août, les gardiens du parc ont observé un « intense mouvement de braconnage » et « une absence importante et notable de gazelles dorcas ». Bien qu’inscrite sur la liste des animaux en voie de disparition et protégée par la loi, la gazelle dorcas fait donc encore l’objet de braconnage.
Les ravages du tourisme
Les inspecteurs ont également signalé la détérioration des vestiges préhistoriques et archéologiques, en particulier d’abris ornés de peintures rupestres, comme celui d’In-Oxam. Cette dégradation serait due à des « facteurs naturels, ou humains », qui auraient suivi des « contacts » avec les parois fragiles desdits abris.
Ce constat, inquiétant, est régulièrement corroboré par des visiteurs du parc qui, sur les réseaux sociaux, dénoncent, photos et vidéos à l’appui, les actes de vandalisme auxquels se livrent des touristes indélicats, qui détruisent les peintures et les gravures rupestres, ou qui les abîment en les couvrant de graffitis.
En janvier 2022, une habitante d’In Amenas, dans la wilaya d’Illizi, a ainsi diffusé une vidéo où l’on voyait des gravures rupestres arrachées de la paroi rocheuse à l’aide de moyens mécaniques. « J’ai pleuré à chaudes larmes en voyant ce désolant spectacle. C’est un crime innommable ! Ils sont en train de voler l’histoire de notre pays. Je vous supplie d’intervenir très rapidement ! », s’exclamait-elle en exhortant les autorités locales à agir.
Ces cinq dernières années, les touristes locaux ou étrangers ont afflué, après une longue période d’absence due à l’insécurité qui régnait dans le Grand Sud algérien, longtemps le fief de groupes affiliés à diverses organisations terroristes. Le nombre de touristes étrangers est en constante progression depuis qu’Air Algérie a inauguré une liaison aérienne directe Paris-Djanet et qu’un système d’obtention de visa simplifié a été adopté (les voyageurs étrangers peuvent obtenir un visa d’entrée aux postes-frontières). Le Grand Sud algérien a accueilli quelque 490 000 touristes (nationaux et étrangers) en 2022-2023, a ainsi indiqué Mokhtar Didouche, le ministre du Tourisme et de l’Artisanat.
En raison de son immensité, le parc du Tassili est difficile à surveiller, même si les touristes sont systématiquement accompagnés de guides fournis par les agences de tourisme locales, ou par des gendarmes.
Patrimoine de l’Unesco
Massif montagneux situé dans le sud-est de l’Algérie, le Tassili n’Ajjer est le fief des touaregs du groupe Kel Ajjer, dont la capitale est Djanet, dans la wilaya d’Illizi. Ce parc de 138 000 km2, qui s’étend jusqu’aux frontières avec la Libye et le Niger, est considéré comme le « plus grand musée d’art préhistorique du monde ».
Classé parc national en 1972, inscrit au patrimoine universel de l’Unesco en 1982, il fait partie du réseau des cinq parcs culturels nationaux qui s’étendent sur six wilayas du Grand Sud algérien : outre le Tassili N’Ajjer (Illizi), celles de l’Ahaggar (Tamanrasset), du Touat-Gourara (Adrar et Timimoun), de Tindouf et de l’Atlas saharien.
Le Tassili n’Ajjer regorge de trésors. Le parc abrite plusieurs espèces de mammifères comme le mouflon à manchettes, la gazelle dorcas, le guépard, le goundi du Sahara, l’addax, le fennec, le chat des sables, le renard, ainsi que plusieurs espèces d’oiseaux d’envergure tels que l’aigle royal, la buse féroce et la chouette.
La flore comprend l’acacia, le tamarix, des plantes médicinales, ainsi que les derniers spécimens du cyprès de Duprez (ou tarout), arbre endémique du massif montagneux du Tassili, menacé de disparition.
Le réchauffement climatique, la sécheresse, le braconnage et le tourisme de masse mettent en péril l’avenir de la faune et de la flore du parc. Mais ce qui en fait la spécificité, ce sont ses milliers de gravures rupestres et de sites archéologiques uniques au monde. Ces œuvres d’art, dont la plupart remontent au néolithique (entre 6 000 et 2 200 ans avant notre ère), sont d’inestimables témoignages sur les peuples et les civilisations qui ont vécu sous ces latitudes, sur leurs modes de vie et leurs croyances, sur les animaux qu’ils côtoyaient.
Tel un livre gravé dans la roche, le Tassili nous renseigne également sur les changements climatiques que la région a connus. Au fil des millénaires, cette contrée boisée et verdoyante, où s’ébattaient bovidés et girafes, est devenue un vaste désert peuplé de dromadaires.
Les méfaits du braconnage
Pour Farid Belbachir, enseignant-chercheur en biologie de la conservation et spécialiste du guépard saharien, l’alerte de l’Office du parc du Tassili « reflète ce qui est souvent rapporté dans le Sahara central par d’autres observateurs : la détérioration des peintures et des gravures rupestres, ainsi que le braconnage ».
Il recommande, cependant, de considérer avec prudence l’absence apparente des gazelles dorcas. « Ces ongulés ont un comportement erratique dicté par leur écologie. Leur absence sur les sites inspectés peut être temporaire. L’extinction de l’espèce due au braconnage est une possibilité, mais de nombreuses autres visites doivent la confirmer », conclut le chercheur, à qui on doit les dernières images du guépard de l’Ahaggar, menacé d’extinction.
Pour remédier à cette situation, l’Office national du parc culturel du Tassili n’Ajjer tente de sensibiliser le public. Des voix s’élèvent, par ailleurs, pour demander aux autorités algériennes de doter cette institution de davantage de moyens matériels et humains, de veiller à promouvoir un tourisme durable et responsable, et, enfin, de collaborer avec des organisations internationales pour conserver et protéger ce joyau du patrimoine mondial.
Par chance, l’été 2024 qui s’achève apporte un peu de répit à la faune et à la flore des parcs du Grand Sud. Il pleut énormément dans le Tassili et l’Ahaggar depuis plusieurs jours. Un événement météorologique rarissime, disent les scientifiques, puisque, localement, ce cumul dépassera de 1 000% la pluviométrie normale. Des précipitations tellement exceptionnelles que, après le déluge, certaines vallées d’oueds ont commencé à prendre des airs de savane africaine.
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