L’Éthiopie se crispe après l’envoi de troupes égyptiennes en Somalie

Déjà perturbées par la question du partage des eaux du Nil et l’accord de coopération entre l’Éthiopie et le Somaliland, les relations égypto-éthiopiennes se sont encore tendues depuis la fin du mois d’août. En cause, l’envoi de soldats égyptiens et d’armes sur le sol somalien. Addis-Abeba s’alarme d’un risque de déstabilisation régionale.

Le président somalien, Hassan Cheikh Mohamoud, et son homologue égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, le 21 janvier 2024 au Caire. © Présidence égyptienne / AFP

Le président somalien, Hassan Cheikh Mohamoud, et son homologue égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, le 21 janvier 2024 au Caire. © Présidence égyptienne / AFP

Publié le 6 septembre 2024 Lecture : 5 minutes.

La tension entre l’Égypte et l’Éthiopie a pris un nouveau tournant avec l’envoi par Le Caire, le 27 août dernier, de deux avions transportant des troupes et des armes en Somalie. Si l’Égypte affirme que ces forces ont pour but d’aider la Somalie à combattre le mouvement terroriste Al-Chabab, cette intervention fait aussi suite à une demande de Mogadiscio qui a sollicité le soutien du régime du président Al-Sissi contre les tentatives éthiopiennes d’établir un port au Somaliland, territoire somalien ayant proclamé son indépendance. De son côté, l’Éthiopie a mis en garde contre toute tentative visant à attiser les tensions dans la Corne de l’Afrique.

Lors d’une réunion avec les principaux responsables des médias égyptiens tenue le 2 septembre dernier, Badr Abdel Ati, le ministre égyptien des Affaires étrangères, a assuré que le pays n’autoriserait aucune « atteinte à l’unité de la Somalie » et allait soutenir « le peuple somalien frère », qui lui a demandé son aide dans la « guerre contre le terrorisme ». Il a confirmé que l’Égypte n’entend pas renoncer à ses initiatives en ce sens dans la Corne de l’Afrique. La veille, c’est le Premier ministre, Mostafa Madbouli, qui avait informé son homologue somalien, Hamza Abdi Barre, que la préservation de l’unité de la Somalie constitue une priorité majeure pour Le Caire.

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Risque d’escalade

C’est dans ce contexte que les médias ont rapporté l’arrivée à Mogadiscio des deux avions égyptiens transportant des forces armées et du matériel militaire, en prélude à un déploiement plus important prévu prochainement. Les images des militaires égyptiens dans la capitale somalienne ont été largement diffusées sur les réseaux sociaux en Égypte, suscitant une grande fierté au sein de la population, qui a salué ce changement politique et ce signe de fermeté, notamment face à l’Éthiopie.

Ces derniers jours, les rencontres entre responsables égyptiens et somaliens se sont multipliées. Lors de chacune d’entre elles, la présence militaire égyptienne en Somalie et ses objectifs ont été évoqués. Si certains médias perçoivent cette intervention comme porteuse d’un risque d’escalade dans le bras de fer avec l’Éthiopie, Le Caire rétorque publiquement que sa présence militaire vise à entraîner les forces somaliennes et à participer aux opérations onusiennes en Somalie pour combattre le terrorisme.

Toutefois, les déclarations égyptiennes concernant ce déploiement militaire confirment un autre objectif : celui d’empêcher l’Éthiopie d’avoir un port maritime au Somaliland, dans le cadre de cette guerre diplomatique entre Le Caire et Addis-Abeba. En janvier 2024, l’Éthiopie et la République autoproclamée du Somaliland ont signé un mémorandum d’entente qui permet aux Éthiopiens d’y avoir un accès à la mer et une base militaire, en échange d’une reconnaissance officielle de l’État somalilandais et de parts dans sa puissante compagnie aérienne, Ethiopian Airlines. L’Égypte a été le premier pays à condamner cet accord, qu’elle considère comme une menace pour l’unité de la Somalie.

« Lutte contre le terrorisme »

Cet accord a provoqué la colère à Mogadiscio. En réponse, le président somalien, Hassan Cheikh Mohamoud, a sollicité le soutien du Caire, dont les relations sont par ailleurs extrêmement tendues avec l’Éthiopie en raison de l’incapacité d’arriver à un accord sur le dossier du barrage de la Renaissance. En janvier dernier, Le Caire et Mogadiscio ont signé un accord de défense conjoint, approuvé par le gouvernement somalien le 20 juillet.

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Le 14 août dernier, Al-Sissi et son homologue somalien ont participé au Caire à la signature de l’accord de coopération militaire entre les deux pays. Lors de la cérémonie, le président égyptien a une nouvelle fois rappelé son rejet de toute ingérence dans les affaires internes de la Somalie et souligné son soutien à l’unité et à la souveraineté du pays.

Une source sécuritaire égyptienne a par ailleurs confirmé à Jeune Afrique que le président Abdel Fattah al-Sissi se rendra mi-septembre en Somalie pour assister aux exercices militaires organisés par les forces armées égyptiennes et somaliennes à Mogadiscio, aux côtés d’Hassan Cheikh Mohamoud. Selon cette source, une délégation militaire égyptienne s’est récemment réunie avec des commandants de l’armée nationale somalienne afin de préparer ces exercices et d’étudier les contours de leur coopération militaire. Elle a également confirmé que le déploiement des forces armées égyptiennes en Somalie s’inscrit dans le cadre de l’accord de coopération militaire entre les deux pays.

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« L’Égypte poursuit plusieurs objectifs derrière sa présence militaire en Somalie. En priorité, Le Caire vise à soutenir l’État somalien dans sa lutte contre le terrorisme – notamment contre le groupe terroriste Al-Chabab – ainsi qu’à prévenir tout risque de désintégration du pays », explique Amany al-Taweel, experte des affaires africaines au Centre des études politiques et stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. « Au cours des dernières années, l’Égypte a conclu une série d’accords de coopération militaire avec des pays du bassin du Nil et de la Corne d’Afrique – y compris récemment avec le Nigéria – afin d’assurer une collaboration et une coordination dans la lutte contre le terrorisme », ajoute-t-elle.

Réaction véhémente de l’Éthiopie

Selon la chercheuse, la présence égyptienne dans la Corne de l’Afrique répond également à d’autres sujets de préoccupation des autorités égyptiennes, particulièrement ceux qui concernent la sécurité du détroit de Bab el-Mandeb, dont le sort est étroitement lié à celui du canal de Suez. Ce qui n’a pas empêché l’Éthiopie de réagir avec véhémence à l’envoi de troupes égyptiennes. Dans un communiqué, Addis-Abeba a averti que l’alliance de la Somalie avec des « forces extérieures » risquait de déstabiliser la région, estimant que le changement était « lourd de dangers ».

« Bien-sûr, cette présence égyptienne envoie un message à Addis-Abeba car il y a des forces armées égyptiennes à la frontière avec l’Éthiopie à un moment où cette dernière traverse des problèmes internes. L’Égypte avait tenté d’établir des relations basées sur les bonnes intentions à l’égard de l’Éthiopie mais cela n’a abouti à rien. Ainsi, Le Caire explore d’autres moyens, dont cette présence », précise Amany al-Taweel.

De plus, ce nouvel épisode survient alors que l’Éthiopie vient d’affirmer avoir achevé la cinquième phase du remplissage controversé du barrage de la Renaissance sans montrer une réelle volonté de parvenir à un accord, estiment les deux pays situés en aval, le Soudan et l’Égypte. Suite à cette annonce, l’Égypte a adressé une lettre au Conseil de sécurité des Nations unies, dans laquelle elle a renouvelé son rejet des « politiques unilatérales » concernant les eaux du Nil.

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