Congo, Soudan, Tigré, Érythrée, Mayotte : l’Afrique vue par les photojournalistes
À l’occasion du festival Visa pour l’image de Perpignan, regards sur quatre expositions au cœur de l’actualité du continent.
Le Festival international du photojournalisme se tient comme chaque année à Perpignan, dans le sud de la France, jusqu’au 15 septembre. Jeune Afrique a sélectionné quatre expositions en lien avec le continent africain. Des sujets d’actualité durs, mais réalisés sur la longueur, sans intention de sensationnalisme, avec la volonté de montrer le quotidien et la résilience de femmes et d’hommes confrontés au pire.
Femmes d’Érythrée et du Tigré, par Cinzia Canneri
Au fil d’un travail en noir et blanc primé à plusieurs reprises, la photographe originaire de Toscane a suivi, entre 2017 et 2024, le quotidien de femmes d’Érythrée et du Tigré, chez elles ou réfugiées en Éthiopie et au Soudan. À l’origine de sa recherche, le fait que la plupart des réfugiés érythréens qui arrivaient en Italie étaient des hommes. « J’ai d’abord voulu savoir pourquoi les femmes n’arrivaient pas, comprendre leur flux migratoire en Afrique, en m’appuyant sur la diaspora en Italie. Puis, quand la guerre au Tigré a éclaté, je me trouvais au Soudan et des femmes ont commencé à arriver. J’ai découvert que l’armée érythréenne utilisait les violences sexuelles de manière généralisée, sur les femmes et même les fillettes, comme une punition pour celles qui fuyaient le pays ou pour des raisons ethniques. Leur corps était devenu un champ de bataille. »
Victimes de viols ou de tirs dans le ventre, ces réfugiées de guerre tentaient de subsister sur la route de l’exil, travaillant la terre ou quittant les camps de réfugiés vers les centres urbains. D’autres, y compris des adolescentes, rejoignaient le Front de libération du Tigré pour échapper à l’insécurité de leur village. Sur la photo, une victime du Tigré violée en 2000 par quatre soldats érythréens, qui avaient ébouillanté sa fille pour l’empêcher de crier. Ce travail a été publié par L’Obs, AftenPosten, XL Semanal et Millennium.
La guerre au Soudan, par Ivor Prickett
Très peu de journalistes ont pu se rendre au Soudan depuis le début des hostilités, en avril 2023, quand les Forces de soutien rapide (FSR), auparavant intégrées, se sont retournées contre l’armée soudanaise. Pour le New York Times, le journaliste Declan Walsh et le photographe irlandais Ivor Prickett ont pu y passer trois semaines, en avril 2024, ralliant Khartoum depuis Port-Soudan. « À Omdurman, ville jumelle de Khartoum sur l’autre rive du Nil, la dévastation est totale (…) Les rues et les quartiers détruits s’étendent à perte de vue, chaque maison semble avoir été pillée », rapporte le photographe. « Rares sont les hôpitaux encore opérationnels, et le système de santé peine à faire face à l’afflux d’enfants mal nourris et de blessés de guerre et à répondre aux besoins médicaux courants. » Des estimations américaines évoquent plus de 150 000 morts causés par le conflit, et l’Office international des migrations indiquait en juin que plus de 10 millions de personnes sont déplacées dans le pays. La famine guette et Mathilde Vu, du Conseil norvégien des réfugiés, évoquait le 4 septembre au micro de RFI « la plus grosse crise alimentaire au monde. La moitié de la population, soit 25 millions de personnes, souffre de la faim », alors que les deux camps, soutenus par des puissances étrangères, s’affrontent sans relâche au mépris de la population et du droit humanitaire.
Les déplacés de l’Est du Congo, par Hugh Kinsella Cunningham
Ce photographe londonien vit en RDC depuis cinq ans. « Ce reportage documente le conflit qui a repris fin 2021, entre les rebelles du M23, épaulés par l’armée rwandaise, et les forces congolaises. Aujourd’hui, la ville de Goma est en état de siège et plus d’un million de personnes sont prises à l’intérieur de la ligne de front. »
Cette photo a été prise un matin de février 2024 : « Une colonne de civils fuyait la ville de Saké. Alors que les rebelles avançaient, ces populations qui se trouvaient déjà dans des camps de déplacés fuyaient à nouveau, vers Goma. » Surpris par l’arrivée des combats, ils doivent partir sur le champ en emportant leurs affaires avec eux. Il leur faut trouver un nouvel abri et à manger, au pire dans le bush, au mieux dans un camp de déplacés où leur sécurité n’est pas assurée, l’aide humanitaire insuffisante et le personnel soignant débordé. « Prise sous les feux de l’artillerie qui tentait de repousser les rebelles, cette photo montre la situation de terreur dans laquelle se trouvent ces populations qui n’ont nulle part où aller et à la fois leur force, avec cet homme déjà amputé qui fuit à l’aide de ses béquilles et derrière lui sa femme qui porte le peu d’affaires qui leur reste », commente Hugh Kinsella Cunningham, dont le travail a été publié par Telegraph Magazine et qui lui a valu le Visa d’Or 2024 du Comité International de la Croix Rouge (CICR). Lundi 2 septembre, dans le Stade de l’Unité de Goma, les autorités congolaises rendaient hommage à 200 personnes décédées de maladie ou de famine dans des camps de déplacés.
À Mayotte, l’armée de la deuxième chance, par Miquel Dewewer-Plana
Le photographe catalan, ancien membre de l’agence VU, a passé quatre mois à Mayotte, département français d’Outre-Mer, avec les recrues du Régiment de service militaire adapté (RSMA). Sur cette île où 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et qui enregistre 10 000 naissances par an, pour moitié issues de l’immigration, difficile d’envisager un avenir doré pour une jeunesse qui grandit souvent dans des bidonvilles. Restauration, sécurité, automobile, bâtiment ou aide à la personne… Le RSMA offre à 800 jeunes chaque année une formation professionnelle contractualisée dans des secteurs porteurs d’avenir, après deux mois de classes. « Je les ai suivis depuis le premier jour de leur incorporation », indique Miquel Dewewer-Plana. « Bien qu’ils aient été scolarisés, 65 % d’entre eux souffrent d’illettrisme à leur arrivée. Et même s’ils viennent de quartiers parfois rivaux ou ennemis, ils apprennent à vivre en communauté au régiment.
Moissi, sur cette photo, était sans emploi et tombait dans la petite délinquance. Mais pour s’en sortir, il a choisi de passer son permis poids-lourd qu’il n’aurait jamais pu s’offrir sans s’engager. Cette photo sur l’échelle est symbolique car elle résonne avec la notion d’ascension sociale : il veut atteindre un niveau qu’il n’aurait pu atteindre sans la formation ».
Les expositions sont à découvrir gratuitement (inscription requise) jusqu’au 15 septembre sur le site de Visa pour l’Image.
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