Métisses discriminées au Congo belge : juger les colons comme les nazis ?

Cinq femmes métisses victimes d’enlèvement et de ségrégation au Congo de l’époque coloniale citent l’État belge en justice. Le procès en appel débute à Bruxelles cette semaine.

© Damien Glez

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Publié le 9 septembre 2024 Lecture : 2 minutes.

En ce début de semaine, il flotte au tribunal civil de Bruxelles un parfum d’uchronie, ce genre littéraire qui consiste à réécrire l’Histoire à partir d’une modification fictive du passé. C’est l’argument que la justice belge avait opposé, en 2021, à cinq femmes métisses victimes de rapts ségrégationnistes à l’époque de la politique raciale menée au Congo par l’État belge.

Nées en Afrique entre 1946 et 1950, les plaignantes entendaient dénoncer un crime contre l’humanité plus largement perpétré entre 1908 et 1960. En première instance, le tribunal avait débouté les plaignantes au motif que « nul ne peut être puni pour un crime qui n’existait pas au moment des faits reprochés ». Le procès en appel se tient, en responsabilité civile, ces 9 et 10 septembre. Issues d’unions mixtes, soustraites à leur famille puis placées dans des instituts, les cinq métisses réclament des dommages et intérêts pour le préjudice causé…

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Politique raciale avérée

Les archives historiques évaluent entre 14 000 et 20 000 le nombre de cas d’enfants nés d’unions mixtes – essentiellement d’un Belge et d’une Congolaise – arrachés à leur foyer et placés de force dans des orphelinats. Les fonctionnaires de l’État colonisateur étaient instruits pour organiser les enlèvements d’enfants âgés de quelques mois à cinq ans, avec le concours de l’Église catholique, qui recueillait les kidnappés dans des missions, parfois sur le territoire du Congo belge, parfois au Rwanda.

Même si ces mulâtres n’étaient généralement pas reconnus par les parents belges, l’objectif était de les invisibiliser, car ils compromettaient le discours ambiant sur la suprématie raciale des colons. Parfois confrontés à la réalité de ces actes de discrimination, les tenants de cette politique évoqueront les bienfaits d’une éducation « à l’européenne ».

De la reconnaissance à l’indemnisation

Si la justice peine à indemniser les victimes de cette politique, l’État belge a tout de même reconnu ses torts. En 2018, le Premier ministre Charles Michel avait présenté des excuses pour ces enlèvements forcés et cette éducation discriminatoire d’enfants métis placés sans être ni orphelins ni abandonnés.

Intenté aujourd’hui par les cinq requérantes, actuellement âgées de plus de 70 ans, le procès en appel aboutira-t-il aux mêmes conclusions qu’en première instance ? Les avocats entendent mobiliser une sorte de « jurisprudence Nuremberg« . Atteignant pertinemment le point Godwin, ils plaideront qu’il faut appliquer à la politique coloniale d’après-guerre les mêmes grilles de lecture exceptionnelles que celles employées au cours du procès intenté, de 1945 à 1946, contre 24 des principaux responsables nazis du Troisième Reich, accusés de complot, crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

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