Aux Émirats, deux princes en lice pour faire sortir Dubaï de l’ombre d’Abou Dhabi

Lorsqu’on évoque les Émirats arabes unis, on pense spontanément à « MBZ », le président et émir d’Abou Dhabi. Mais à Dubaï, deuxième composante la plus importante de cette fédération de monarchies créée en 1971, l’émir Mohamed ibn Rached al-Maktoum veut accroître son influence. Et compte sur ses deux fils pour imposer leur voix.

Le Premier ministre et vice-président des Émirats arabes unis Mohamed Rached al-Maktoum et le prince héritier de Dubaï Cheikh Hamdan ibn Mohamed ibn Rached al-Maktoum, à Dubaï, le 30 mars 2024 © Waleed Zein / Anadolu via AFP

Le Premier ministre et vice-président des Émirats arabes unis Mohamed Rached al-Maktoum et le prince héritier de Dubaï Cheikh Hamdan ibn Mohamed ibn Rached al-Maktoum, à Dubaï, le 30 mars 2024 © Waleed Zein / Anadolu via AFP

Publié le 11 septembre 2024 Lecture : 4 minutes.

L’émir de Dubaï, Cheikh Mohamed ibn Rached al-Maktoum, également Premier ministre des Émirats arabes unis (EAU), prépare savamment sa succession. Désormais âgé de 75 ans, « il est régulièrement photographié en train de marcher avec une canne », souligne le Financial Times (FT), qui lui a consacré un long article à la fin de cet été.

Quant à sa réputation de cheikh « progressiste » et intègre, elle a été sérieusement écornée après plusieurs scandales. Son comportement avec les femmes d’abord, notamment l’une de ses six épouses, la princesse Haya et deux de ses filles, les princesses Shamsa et Latifa vraisemblablement séquestrées sur ordre de leur père. Mais également, la mise en lumière de son nom dans les Pandora Papers, révélant des participations détenues par le cheikh dans trois sociétés offshore enregistrées dans des paradis fiscaux.

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Même si Mohammed ibn Rashid al-Maktoum est toujours aux commandes, il « s’éloigne progressivement de la prise de décision en première ligne », écrit le FT. Ses potentiels successeurs à la tête de Dubaï ne sont autres que ses deux fils : Hamdan (41 ans) et Maktoum (40 ans), respectivement nommés héritier présomptif et souverain adjoint il y a maintenant une vingtaine d’années.

Mais depuis le mois de juillet dernier, la planification de la succession de l’émir est passée à la vitesse supérieure lorsque Hamdan a rejoint le gouvernement fédéral en tant que vice-Premier ministre et a accédé au rôle de ministre de la Défense que son père occupait depuis 1971. Ce poste est essentiellement cérémoniel, puisque Mohamed Ben Zayed (dit MBZ), président des EAU et émir d’Abou Dhabi, concentre entre ses mains le hard power militaire, politique et énergétique. Ce dernier a, lui aussi, d’ores et déjà organisé sa succession en désignant son fils Khaled ben Mohammed ben Zayed comme prince héritier.

Derrière l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants aux EAU, se joue la rivalité sourde et historique entre les deux familles régnantes de Dubaï et d’Abou Dhabi. Même si les deux clans préfèrent parler de « rivalité fraternelle », selon le magazine français Challenge. Pour l’instant, c’est bien la capitale fédérale qui a le dernier mot sur tout. Et qui dispose du « capital ». L’Abu Dhabi Investment Authority (ADIA) est le quatrième fonds souverain au monde, avec plus de 850 milliards de dollars d’actifs sous gestion. Au cours de la crise financière de 2008, Abu Dhabi a d’ailleurs sauvé Dubaï de la faillite, « lui infligeant l’humiliation de débaptiser sa tour iconique Burj Dubaï pour la renommer Burj Khalifa, du nom de la famille régnante d’Abu Dhabi », précise Challenge.

Le poète et le comptable

Hamdan et Maktoum, les héritiers de Mohamed ibn Rached al-Maktoum, ont donc la lourde tâche de rembourser leur dette et de consolider le pouvoir économique et financier de Dubaï, pour concurrencer Abou Dhabi. Pour mener à bien cette mission, les deux frères ont des rôles complémentaires. Hamdan, sportif, populaire et intello (poète à ses heures perdues et mordu de culture), gère le « branding » de l’émirat. En 2020, c’est lui qui a dirigé la délégation ayant remporté le droit de tenir l’Exposition Universelle à Dubaï. Dans la foulée, il escaladait le Burj Khalifa pour y brandir le drapeau des EAU.

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Au fil des décennies, son père a fait de Dubaï, qui n’était initialement qu’un simple port d’entrepôts, un centre mondial du commerce, de la finance et du tourisme. Depuis la pandémie de 2020, sous l’influence de Hamdan, « la ville est devenue un pôle d’attraction pour les riches investisseurs dans le domaine de la technologie et de la cryptographie, les influenceurs des médias sociaux et les travailleurs à distance », détaille le FT. Puis, en 2022, une terre d’accueil pour de nombreux Russes, après l’invasion de l’Ukraine. La population totale de Dubaï a augmenté de 9 % entre 2019 et 2023, selon les estimations du gouvernement, pour atteindre 3,7 millions d’habitants.

De son côté, Maktoum est l’argentier de l’émirat. Il est à ce titre considéré comme plus sérieux et « techno » que son frère aîné. « Il utilise discrètement le produit des privatisations et l’augmentation des recettes fiscales pour rembourser les obligations et les prêts de Dubaï, estimés à plus de 100 milliards de dollars – accumulés pendant le boom des années 2000, marqué par l’endettement – et pour assainir les finances de l’émirat, précise le FT avant de poursuivre : une partie de cette somme provient de la stratégie des marchés de capitaux de Dubaï, qui consiste à coter en bourse des entités liées à l’État afin d’accroître les liquidités et de concurrencer plus efficacement les grandes bourses d’Arabie saoudite et d’Abou Dhabi. »

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Les deux frères éclipsent, petit à petit, les conseillers de leur père en plaçant leurs propres collaborateurs, notamment Mohammed al-Hussaini, ministre d’État aux Affaires financières, et Helal al-Marri, qui dirige les départements de l’Économie et du Tourisme de Dubaï. Au ministère des Finances, al-Hussaini supervise l’introduction par les EAU d’un taux d’imposition des sociétés de 9 % qui, avec la taxe sur les ventes de 5 % introduite en 2018, devrait rapporter au gouvernement des recettes substantielles.

Quant à al-Marri, il dirige (entre autres) le marché boursier national et coordonne les efforts déployés par Dubaï « pour devenir une plaque tournante des crypto-monnaies et doubler la taille de l’économie d’ici à 2033 », affirme le FT. Une stratégie payante ? Oui, d’après le journal économique Challenge, puisque le remboursement anticipé de sa dette à Abou Dhabi permet à Dubaï de retrouver une certaine liberté de parole, principalement sur le plan diplomatique, alors que ces dernières années, l’émirat n’avait pas pu exprimer ses réserves sur la guerre au Yémen ou sur le blocus du Qatar.

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