Pêche : des avancées décisives vers un secteur durable au Sénégal et au Cameroun

Parce qu’elle nuit directement aux communautés côtières dont elle compromet la sécurité alimentaire et les revenus, la pêche illégale s’apparente à un fléau que Dakar et Yaoundé tentent de combattre, chacun à sa manière.

Des pêcheurs traditionnels dans le quartier de Yoff, à Dakar. © Cem Ozdel/Anadolu via AFP

Des pêcheurs traditionnels dans le quartier de Yoff, à Dakar. © Cem Ozdel/Anadolu via AFP

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  • Steve Trent

    PDG et fondateur de l’Environmental Justice Foundation

Publié le 28 septembre 2024 Lecture : 5 minutes.

Dans le domaine de la pêche, faire preuve de transparence présente des avantages réels à la fois pour les personnes et pour la planète. La transparence permet de protéger la faune et la flore marines, de garantir les moyens de subsistance des populations côtières, d’assurer la sécurité alimentaire et d’améliorer les finances publiques d’un pays. Deux récents exemples de progrès en Afrique en font la démonstration.

Respect de la réglementation au Sénégal

Au Sénégal, le nouveau gouvernement s’est attelé à la tâche après avoir fait de la réforme de la pêche l’une de ses principales promesses électorales. Après avoir récemment diffusé une liste des navires autorisés à pêcher dans ses eaux, le pays vient de rendre publiques des informations sur les sanctions et amendes pour les infractions liées à la pêche, notamment la pêche sans licence et la capture de poissons juvéniles. Depuis janvier 2024, les amendes prononcées se situent entre 400 et 599 millions de francs CFA, soit entre 611 000 et 916 000 euros. Il s’agit là d’une avancée importante par rapport à l’année dernière, où seulement 103 millions de francs CFA (157 000 euros) étaient exigés en vertu des mêmes lois sur la pêche.

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Cette énergie nouvelle est la bienvenue. La pêche illégale nuit directement aux communautés côtières car elle compromet leur sécurité alimentaire et leurs revenus. Elle dégrade aussi les habitats et la biodiversité marine. Selon des témoignages recueillis auprès de travailleurs du secteur, de grands navires pratiquant la pêche illégale ont été impliqués dans diverses collisions mortelles avec des pêcheurs artisanaux au Sénégal. La capture de poissons juvéniles pose également problème : ces espèces n’ont aucune chance de se reproduire avant d’être capturées, ce qui menace l’avenir des populations de poissons ainsi que celui des personnes et des écosystèmes marins qui les entourent.

Une chose est sûre, la législation sur la pêche n’est efficace que dans la mesure où elle est réellement et pertinemment appliquée. Nous devons donc nous réjouir de l’engagement et de la volonté du nouveau gouvernement de faire de cette réglementation une réalité. La transparence, c’est la participation effective des représentants des communautés dans les organes d’orientation et de gestion mais aussi une maîtrise du système d’octroi des licences de pêche et du pavillon sénégalais. Dans cette perspective, un audit approfondi de ces processus est nécessaire, en vue de s’inscrire dans la gestion durable des pêches.

Haro sur les « pavillons de complaisance » au Cameroun

Au Cameroun, des progrès ont également été réalisés. L’année dernière, la Commission européenne a adressé au pays un « carton rouge » en raison de son incapacité à lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN). Des efforts sont depuis déployés pour parvenir à lever cette sanction. Ce mois-ci, une étape a été franchie. En publiant la liste des licences des navires du pays, les autorités camerounaises ont introduit des mesures de transparence indispensables pour que les États et tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement concernés puissent vérifier le statut d’un navire et faire un pas de plus vers l’éradication de la pêche illégale. Notons que la liste des navires est un instrument nécessaire pour les inspecteurs des pêches et autres corps de contrôle pour la lutte contre la pêche INN, mais aussi pour les chercheurs dans le suivi de l’effort de pêche.

Les deux pays doivent maintenant tirer parti de ces progrès. Au Sénégal, la mise à disposition régulière d’une liste complète des sanctions et des bénéficiaires effectifs des activités d’un navire, par opposition aux informations globales actuelles, constitue une priorité. Cette démarche permettrait de renforcer les efforts déployés pour identifier les responsables de la pêche illégale, des violations des droits humains et de la détérioration du mode de vie des communautés côtières. Et aussi d’élever le niveau de dissuasion contre les comportements véreux, donc de la prévention.

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Au Cameroun, le prochain pas décisif consistera à sévir contre l’utilisation du pavillon national comme « pavillon de complaisance ». Il incombe à chaque pays de veiller à ce que les navires qui battent son pavillon respectent la loi. Or des opérateurs peu scrupuleux enregistrent leurs navires dans des pays réputés pour leur laxisme en matière d’application de la loi ou pour ne pas enquêter sur l’historique du navire. Ils passent fréquemment d’un registre à l’autre pour éviter d’être repérés en cas de pêche illégale ou de violation des droits humains.

Salutaire transparence

Le pays est connu pour être une destination populaire auprès des navires à la recherche d’un tel pavillon, et le nombre de bateaux a explosé ces dernières années. Les recherches menées par Environmental Justice Foundation (EJF) en 2022 ont révélé que 55 % des navires de l’ensemble de la flotte camerounaise avaient été ajoutés au cours des cinq années précédentes, et que 94 % d’entre eux appartenaient à des intérêts étrangers. Presque tous n’avaient aucun lien réel avec le Cameroun : ils ne pêchaient pas dans ses eaux, n’employaient pas ses habitants et ne débarquaient pas leurs prises dans les ports camerounais. En dépit du fait que quelques-uns de ces navires ont récemment abandonné le drapeau du pays, cette situation reste une réalité et ne fait que nuire à la réputation internationale du Cameroun. Rétablir le contrôle sur les personnes autorisées à battre pavillon camerounais et surveiller de près celles qui sont autorisées à le faire constituerait un progrès essentiel et significatif.

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Au-delà de ces mesures immédiates, les deux pays peuvent garantir une transparence globale et systémique de la pêche en inscrivant dans leurs réglementations et en mettant en œuvre les principes de la Charte mondiale pour la transparence. Ces principes sont des outils efficaces et rentables qui ont fait leurs preuves pour sortir le secteur de l’ombre et garantir que les pratiques de pêche soient sûres, durables et légales. Nous encourageons le Sénégal, le Cameroun et toutes les nations à les adopter sans plus attendre.

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