Une Bretonne en Afghanistan

Avec leur documentaire « Une Française à Kaboul », Charlotte Erlih et Marie-Pierre Camus retracent l’histoire de l’Afghanistan entre 1928 et 1980. Une période d’ouverture et de repli obscurantiste.

« Une Française à Kaboul », documentaire réalisé par Charlotte Erlih et Marie-Pierre Camus sera diffusé ce dimanche sur France 5, à 22h30. © Kepler22 Production

« Une Française à Kaboul », documentaire réalisé par Charlotte Erlih et Marie-Pierre Camus sera diffusé ce dimanche sur France 5, à 22h30. © Kepler22 Production

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 14 septembre 2024 Lecture : 5 minutes.

En 2013, l’autrice française Charlotte Erlih publie Bacha Posh (Actes Sud Junior), un roman qui se déroule en Afghanistan. L’œuvre raconte l’histoire d’une fille contrainte de se déguiser en garçon. Miracle de la littérature et des rencontres qu’elle permet : peu de temps après, la jeune femme se voit confier, par l’intermédiaire d’une lectrice, les riches archives d’une certaine Elisabeth Naïm Ziai.

À travers des photos et des écrits, Charlotte Erlih se retrouve propulsée presque un siècle en arrière, dans la vie extraordinaire d’une Bretonne mariée à un prince afghan. À partir de ce moment, fascinée par une histoire qui fait écho avec l’actualité, l’autrice n’aura de cesse de chercher le moyen de raconter la vie et les combats d’Elisabeth Bellay à Kaboul. Le résultat est un film documentaire, Une Française à Kaboul, réalisé avec Marie-Pierre Camus et diffusé dimanche 15 septembre, sur France 5, à 23 heures.

la suite après cette publicité

Émancipation des femmes

En 1926, c’est dans la pharmacie familiale qu’Elisabeth rencontre le prince Naïm Ziai. Celui-ci fait partie d’un groupe de jeunes afghans choisis pour étudier en Europe. Coup de foudre et mariage dans la foulée, en 1927, même si la famille bretonne considère ce choix avec circonspection. Mais rien ne peut arrêter Elisabeth, forte tête, qui embarque bientôt pour rejoindre Kaboul, via le canal de Suez et l’Inde. À l’heure du départ, c’est le roi progressiste Amanullah Khan qui règne sur le pays, avec sa femme Soraya Tarzi. Non content d’avoir obtenu l’indépendance de sa nation face à la couronne britannique, Amanullah Khan entend moderniser le pays. Il souhaite notamment permettre l’émancipation des femmes. Une démarche qui n’est pas du goût des milieux conservateurs.

Quand Elisabeth Naïm Ziai et son mari atteignent l’Inde, des troubles ont éclaté et la frontière avec l’Afghanistan est fermée. En décembre 1928, l’émir doit affronter le soulèvement des Shinwaris dans l’est du pays et les hommes de Bacha e Saqao, qui menacent Kaboul par le nord. Le 14 janvier 1929, Amanullah Khan est contraint d’abdiquer. Bacha e Saqao s’empare alors du pouvoir sous le nom d’Habibullah Kalakani et établit un strict régime religieux. L’arrivée du couple franco-afghan ne se fait donc pas sous les meilleurs auspices. La belle histoire de la jeune bretonne et du prince prend une tournure bien différente de celle prévue, Naïm Ziai ne faisant plus vraiment partie de l’aristocratie dirigeante et devant se contenter d’un travail de fonctionnaire.

« Tout est fait pour les effacer »

Tout le mérite d’Une française à Kaboul est de raconter l’histoire de l’Afghanistan entre 1928 et 1980 à travers l’existence, étonnante, d’une femme engagée et volontaire. Un parcours dont le mouvement de balancier oscille entre périodes d’ouverture sur le monde et phases de repli sur soi durant lesquelles les femmes paient le prix fort. Des moments où « tout est fait pour les effacer », comme le mentionne Elisabeth Naïm Ziai.

À l’aide de nombreuses images d’archives, Charlotte Erlih et Marie-Pierre Camus racontent les efforts continus d’Elisabeth Naïm Ziai en faveur de la libération des femmes afghanes. En octobre 1929, Bacha e Saqao est vaincu, puis exécuté. Un cousin d’Ammanullah Kahn, Nadir Kahn, prend le pouvoir sous le nom de Nadir Shah. S’il est partisan de réformes, il n’entend pas les mettre en œuvre dans la précipitation. De toute manière, il n’en aura pas le temps : il est assassiné en 1933 et son fils Mohammed Zaher Shah hérite d’un pouvoir dont il ne veut pas. C’est le Premier ministre, son oncle Mohammed Hachim Kahn, qui va l’exercer jusqu’en 1946.

la suite après cette publicité

Rongée par l’ennui, la Bretonne de Kaboul, désormais mère d’un garçon, Hakim, et d’une fille, Sophia, s’interroge sur ses choix. « Je mets mon tchadri, je m’y soumets, mais je ne m’y fais pas », dit-elle. En 1934, une opportunité va enfin s’offrir à elle. Afin d’adhérer à la Société des Nations, le pays doit montrer quelques signes d’ouverture. Le roi Zaher décide alors de rouvrir discrètement l’école de filles créée par la reine Soraya, en 1921, en la faisant passer pour une école d’infirmières. L’occasion rêvée : Elisabeth parle le Dari, elle y devient enseignante. « Face à mes élèves, je revis », écrit-elle.

Quatre ans plus tard, elle va encore plus loin en cessant de porter le voile. Dans une rare séquence filmée, on la voit s’en expliquer, en 1968, auprès d’un célèbre reporter français, Joseph Kessel (Fortune carrée, Les Cavaliers, Le lion…). Par la suite, elle ne portera plus jamais le voile et s’engagera chaque jour un peu plus dans la défense des droits des femmes. Elle crée notamment, en 1943, l’Institut des femmes avec la discrète bénédiction des autorités. En 1946, à l’occasion de l’adhésion à l’ONU, Zaher Shah reprend le pouvoir en main et nomme Premier ministre un autre de ses oncles :  Shah Mahmoud. C’est le début d’une belle période d’ouverture au cours de laquelle, outre promouvoir des activités culturelles auprès des femmes, Elisabeth Naïm Ziai décide d’ouvrir le premier salon de beauté de Kaboul. Ce qu’elle fait après un séjour en France, en plein centre-ville, en 1948, à l’heure où son mari est promu ministre des Mines. Les choses n’avancent pas vite, mais elles avancent.

la suite après cette publicité

Le bal de la libération

Dix ans plus tard, en 1958, le Premier ministre Mohammed Daoud Kahn passe un coup de fil à Elisabeth. Il lui propose que sa fille Sophia se rende au travail sans tchadri. Une manière de limiter les risques : sa mère, bien connue dans le pays, se balade depuis des années sans voile et elle est française. « Sofia est très fière d’avoir été choisie pour ouvrir le bal de la libération », écrit alors Elisabeth. Il n’y aura pas d’émeute et la nouvelle se répand dans la ville comme un vent de liberté. Les femmes commencent ainsi à se dévoiler, encouragées par le Premier ministre Daoud qui a demandé à sa femme et à celles des autres haut dignitaires d’apparaître visage découvert lors des fêtes d’indépendance. Les traditionalistes de Kandahar, qui demandent la chute du gouvernement, sont emprisonnés.

1959 marque ainsi les débuts d’une période d’ouverture sans pareille. Kaboul, un temps, va devenir une ville à la mode où afflueront de nombreux touristes occidentaux. Mais en Afghanistan, le mouvement de balancier de l’histoire semble parfois immuable. Elisabeth rentrera en France en 1980, après l’invasion soviétique. Elle décède en 1994. On ne peut qu’imaginer ce qu’elle aurait pu penser de l’Afghanistan d’aujourd’hui.

Une Française à Kaboul, un documentaire à voir dimanche 15 septembre, à 23 heures, sur France 5. Disponible en replay sur France TV jusqu’au 14 octobre 2024

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Rony Brauman : « Au Sahel comme en Afghanistan, l’arrogance impériale dans toute sa splendeur »

Contenus partenaires