Quand le meilleur chocolatier du monde célèbre le Cameroun
À la tête de plus de 20 boutiques en France et au Japon, le Français Jean-Paul Hévin se fournit en cacao à Nkolossang, près de Yaoundé, où il entend développer une filière durable de qualité.
Tranquillement assis dans l’arrière-boutique du 108 rue Saint-Honoré (Paris), Jean-Paul Hévin termine un bento traditionnel préparé par sa femme japonaise. Crâne dégarni, fine moustache poivre et sel, sourire presque timide, il semble un peu en retrait. Pourtant, ce jour-là, celui qui a été consacré meilleur pâtissier-chocolatier du monde 2023-2024 lors des World Pastry Stars de Milan (Italie), sort sa toute nouvelle collection. Oui, comme en haute-couture, les artisans de la bûche de Noël et de la galette des rois présentent, quelques mois avant les fêtes chrétiennes, leurs créations. Chez Jean-Paul Hévin, cette année, le thème gourmand s’intitule « Nouveaux mondes ».
« Le cacao est une merveille, un produit sacré de ce nouveau monde que l’on venait de découvrir en cette fin de XVᵉ siècle, l’Amérique, précise le dossier de presse. En partant de ce fait historique, Jean-Paul Hévin a voulu, à son tour, que le chocolat nous fasse découvrir de nouveaux mondes. » L’on pourrait bien entendu faire la fine bouche face à cet argumentaire : le « nouveau monde » de l’époque ne l’était que pour ceux qui, armés de Bibles, de sabres et de fusils, imposaient leur culture à coups de lame à des civilisations fort anciennes…
Mais oublions un instant la dramatique histoire coloniale du cacao : que nous propose Jean-Paul Hévin, heureux propriétaire de plus de 25 boutiques (9 à Paris, 13 au Japon et 2 à Taïwan) pour la fin de l’année 2024 ? Un très classique calendrier de l’Avent sur la place des Vosges (53 euros), mais aussi une bûche Cameroun (67 euros), des macarons et bonbons Cameroun (2,60 euros le macaron), une galette des rois africains pour l’épiphanie (39 euros pour 6 personnes), une bûche corail (67 euros), un coffret découverte Yaoundé cacao grand cru 70 % « issu de la filière chocolatiers engagés » (32 euros).
Centre d’excellence
Pas besoin d’être grand clerc pour deviner qu’il se passe quelque chose entre le chocolatier français Jean-Paul Hévin et les producteurs de cacao du pays des crevettes. La fameuse bûche du Cameroun, pour ne parler que d’elle, est une ode au chocolat. Reposant sur un socle d’amandes caramélisées au chocolat au lait, elle allie gianduja, noisette à la graine de luzerne, biscuit chocolat, crème brûlée à la vanille et fleur de sel, mousse au chocolat noir grand cru du Cameroun. Précision d’importance : « cacao issu du centre d’excellence post-récolte Hévin-Nkolossang ».
Il y a deux ans, dans le cadre de la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) – à savoir la contribution des entreprises aux enjeux de développement durable – Jean-Paul Hévin a décidé de s’investir dans un terroir producteur de cacao assez proche de la France. Son choix s’est orienté vers le Cameroun grâce à l’entremise d’Aristide Tchemtchoua, présidente de la coopérative Cacao de Nkogekogo Scoops Ca.
« C’est elle qui m’a aidé à choisir Nkolossang, non loin de Yaoundé, raconte Hévin. J’ai fait un don à une coopérative camerounaise qui, en contrepartie, a installé un centre d’excellence pour la fermentation et le séchage de la fève de cacao, géré par des professionnels camerounais. Tout est tracé. Les cultivateurs peuvent apporter leurs fèves, qui sont payées un peu plus cher, et revendues à un meilleur prix. Ce centre porte mon nom, Hévin-Nkolossang, car je veux en faire une marque, promouvoir le cacao du Cameroun auprès des consommateurs et le protéger par rapport à l’industrie. S’il y avait un jour des royalties, ce serait pour des associations. »
Une démarche qui doit permettre des pratiques agricoles responsables, comme la limitation des intrants, mais aussi empêcher le travail des enfants et favoriser l’épargne salariale pour les besoins de leur scolarité. Promoteur d’un circuit court, le chocolatier souligne son intention de limiter au maximum pesticides et engrais. « La filière n’est pas encore complétement bio, mais je compte bien poursuivre mon combat dans ce sens », dit-il.
Galette des rois africains
À la tête d’une entreprise créée en 1988 et qui emploie aujourd’hui 120 personnes, pour 15 millions d’euros de chiffre d’affaires, Jean-Paul Hévin a investi 35 000 euros sur place. Sans exclusive : « Le centre d’excellence est ouvert à tous et l’utilisation de la marque est libre, si elle n’est pas industrielle, précise-t-il. J’achète là-bas comme tout le monde. J’ai pour cette année passé une commande de 24 tonnes qui s’ajoute aux six tonnes dont je dispose déjà. La crise du cacao est sévère et il va falloir participer à la culture. »
Pour transformer ce cacao, dont on connaît la longue histoire coloniale, Jean-Paul Hévin s’est adressé à deux torréfacteurs français reconnus, Franck Morin et Nicolas Berger. Ensuite, pour métamorphoser les différents chocolats en sublimes pâtisseries, Jean-Paul Hévin travaille en complicité avec Jean Oddes, notamment pour l’esthétique des créations. Accusera-t-on le chocolatier d’ »appropriation culturelle » après avoir dégusté sa Galette des rois africains (pâte feuilletée nature et au chocolat noir, crème d’amande aux pépites de chocolat cacao grand cru du Cameroun, crème pâtissière au caramel), ornée d’un masque d’inspiration africaine et accompagnée d’une couronne rappelant celle de certains souverains camerounais ? Peut-être, mais cela ne nous empêchera pas d’en reprendre une part.
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