Depuis quand le mot « Palestinien » est-il une insulte ?
Dans la bouche de Donald Trump comme dans celle de nombreuses personnalités européennes, « Palestinien » est une injure. La propagande de Benyamin Netanyahou a trouvé un terreau d’autant plus fertile que le monde entier baigne dans une inculture crasse.
Lors de ce fameux débat qui allait susciter tant de commentaires et entraîner, en fin de compte, le retrait de Joe Biden, l’inénarrable Trump traita le président en exercice de « Palestinien » et ajouta, méprisant : « Et encore, c’est un Palestinien de la pire espèce : il est faible [weak]. »
J’en étais resté bouche bée. Le nom d’un peuple serait donc devenu une insulte ? Et quel peuple ! L’un de ceux qui ont subi la plus flagrante injustice historique, les pires trahisons et boucheries de ces dernières décennies… Qui se souvient des massacres de Cana (1996), de Sabra et Chatila (1982), de Kafr Qassem (1956), de Deir Yassin (1948) ?
Exclusion de Sébastien Delogu
Mais Trump n’est pas le seul. Combien de politiciens, en Europe, ont utilisé cette année le même démonyme du bout des lèvres, en faisant la grimace, comme s’ils prononçaient un gros mot ?
Et il ne s’agit pas seulement du nom. L’identité de tout un peuple est devenue suspecte. Lorsque, en mai dernier, le député français Sébastien Delogu fut exclu de l’Assemblée nationale pour avoir brandi le drapeau palestinien dans l’hémicycle, il ne se trouva personne, hormis ses camarades, pour le défendre ; personne non plus parmi ceux qui portent tous les jours des pin’s aux couleurs du drapeau ukrainien. « Ce n’est pas la même chose », n’est-ce pas.
Dans d’autres pays, le port du keffieh n’est pas loin de constituer un délit. La députée Sarah Jama a été expulsée de la Chambre législative de l’Ontario simplement pour en avoir noué un autour de ses épaules. Déjà, en octobre 2023, elle s’était attiré les foudres de certains de ses collègues en appelant à un cessez-le-feu à Gaza – mais là, elle avait dépassé toutes les bornes en arborant non pas un foulard Hermès – publicité gratuite – mais un symbole de l’identité palestinienne. Dehors !
En Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, j’ai assisté, médusé, à des discussions où des gens par ailleurs (parfois) estimables utilisaient le mot « palestinien » comme s’il s’agissait d’une obscénité. La victoire de l’extrême droite israélienne et de ses alliés d’Europe et d’Amérique est d’abord là : faire d’un mot, d’un nom de peuple, une marque d’infamie.
Du premier temple à l’assassinat de Rabin
En réalité, tout cela n’est pas sans rapport avec la montée de l’inculture qui semble accompagner, de façon paradoxale, le trop-plein d’informations dans lequel nous baignons depuis l’invention d’Internet, cette catastrophe, et des réseaux sociaux, ces plaies. Il manque à ceux qui usent et abusent du mot « Palestinien » la connaissance fine de l’histoire du Moyen-Orient, depuis le congrès de Bâle de 1897 – sans même remonter à la destruction du premier temple, au VIe siècle avant J.-C. – jusqu’aux accords d’Oslo et à l’assassinat d’Yitzhak Rabin, en 1995 – après un discours en faveur du processus de paix israélo-palestinien… (À ce propos, comment faire la paix demain si l’anathème a été jeté sur tout un peuple, enfants compris, par la transformation de leur nom en une injure ?)
De ce point de vue, il est heureux que tant de campus universitaires en Europe, aux États-Unis et ailleurs dans le monde aient été traversés par une vague de solidarité avec les civils innocents qui constituent l’essentiel d’un peuple. Ce sont ces étudiants qui ont sauvé l’honneur de l’Occident – justement parce que la plupart d’entre eux connaissent l’Histoire.
Quant aux autres, on a envie d’en dire ce qu’un illustre Juif palestinien soupirait, il y a deux mille ans : « Mon Dieu, pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » – ni ce qu’ils disent…
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