« Chez CMA CGM, nous avons décidé d’être énergie-agnostiques »

Christine Cabau-Woehrel, la vice-présidente « actifs et opérations » de CMA CGM, est notamment chargée du dossier de la décarbonation. Elle est convaincue que l’armateur sera au rendez-vous du Net Zero Carbon fixé à 2050 par l’Organisation maritime internationale (OMI).

Christine Cabau-Woehrel, vice-présidente du groupe CMA CGM. © François LEFEBVRE/CMA-CGM

Christine Cabau-Woehrel, vice-présidente du groupe CMA CGM. © François LEFEBVRE/CMA-CGM

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Publié le 8 octobre 2024 Lecture : 5 minutes.

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Contraint par l’Organisation maritime internationale (OMI) de présenter un bilan carbone neutre en 2050, le secteur a mis le cap sur sa transition énergétique. Une véritable révolution, qui aura aussi des conséquences sur le commerce mondial.

Sommaire

CMA CGM passe pour être celle qui, parmi les grandes compagnies maritimes internationales, fait la course en tête dans la transition énergétique qui démarre pour emmener la flotte mondiale de commerce vers le « Net Zero Carbon » à l’horizon 2050. Depuis 2017 déjà, quelques-uns de ses porte-conteneurs tournent au GNL et l’armateur de Marseille vient d’engager 15 milliards de dollars pour que 25 % de sa flotte soit propulsée par des énergies alternatives en 2028. Ce dossier et beaucoup d’autres ont été confiés à Christine Cabau-Woehrel, vice-présidente du groupe, chargée des actifs industriels et des opérations, et donc des navires, des terminaux et de l’énergie qui les fait fonctionner.

Un poste à large périmètre, donc, qu’elle occupe dans une maison qu’elle connaît bien puisqu’elle y a commencé sa carrière (1987-2011), en gérant notamment les lignes asiatiques. L’année suivante, elle est nommée à la direction générale du port autonome de Dunkerque, avant de prendre les rênes de l’Autorité portuaire de Marseille-Fos deux ans plus tard. En 2019, c’est en tant qu’experte reconnue du monde maritime qu’elle réintègre CMA CGM. Avec pour mission, entre autres, d’assurer dans les vingt-cinq prochaines années la décarbonation totale du troisième armateur mondial.

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Jeune Afrique : L’objectif Net Zero Carbon imposé pour 2050 par l’Organisation maritime internationale (OMI) vous semble-t-il aujourd’hui atteignable par CMA CGM ?

Christine Cabau-Woehrel : Bien sûr. Notre président-directeur général, Rodolphe Saadé, a annoncé en décembre 2023 partager cet objectif et nous nous en sommes donné les moyens, en engageant 15 milliards de dollars pour rajeunir et décarboner notre flotte. Nous avons également alloué, à travers notre fonds énergie Pulse, 1,5 milliard d’euros supplémentaires pour soutenir et promouvoir les innovations en matière de décarbonation du transport et de la logistique. Pour l’heure, notre ambition est cohérente avec les étapes demandées par l’OMI pour 2030 et 2040. Bien sûr, une telle démarche nécessite un effort opérationnel et financier de la part de tous les acteurs de la filière, y compris les clients et les fournisseurs, pour soutenir l’innovation, favoriser la sobriété énergétique et surtout accepter le surcoût lié à l’utilisation d’énergies alternatives. C’est grâce au cumul de ces différentes actions que l’industrie pourra réduire son empreinte carbone.

Depuis combien de temps travaillez-vous sur ce dossier chez CMA CGM ?

Depuis 2017, nous avons choisi de nous concentrer sur le gaz liquéfié. Nous travaillons beaucoup depuis sur les nouvelles énergies, ainsi que sur notre efficacité opérationnelle et sur la valorisation de nos actifs. Nous avons réduit nos émissions de 1 million de tonnes en 2023, grâce à l’ensemble des initiatives que nous avons mises en place. Chacun des trajets maritimes réalisés par chaque navire est mesuré et analysé. Nous travaillons également à la mise en place d’un écosystème efficace, incluant nos fournisseurs, énergéticiens, motoristes et autres prestataires, pour pouvoir faire preuve d’innovation dans nos solutions.

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Quelles sont justement les solutions aujourd’hui retenues et développées par la compagnie maritime ?

Notre feuille de route s’appuie sur trois piliers : l’énergie et les moyens économiquement viables d’en produire en quantité suffisante ; nos actifs et comment les rendre de plus en plus sobres ; nos opérations, afin de mieux exploiter nos navires, nos avions, nos camions et nos terminaux. Il est impératif d’embarquer pour un tel voyage les clés du succès que représentent la digitalisation et l’intelligence artificielle. Le chemin vers la décarbonation s’annonce en effet long et difficile. Il passe forcément par une augmentation significative des énergies bas carbone dans notre mix énergétique, ainsi que par l’acquisition d’actifs adaptés. Concernant les énergies, la première étape a porté sur le GNL, qui demeure un carburant fossile et n’est donc pas une solution ultime. Via nos investissements en R&D, nous étudions et testons toutes les énergies alternatives à disposition, en particulier l’hydrogène, l’ammoniac et, même, l’assistance vélique pour rendre ces solutions matures avec l’aide de nos partenaires industriels.

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Avez-vous déjà une idée du futur mix énergétique utilisé par la compagnie à l’horizon 2050 ?

Il ne sert à rien de répondre à cette question 25 ans à l’avance, car cela signifierait que nous ne laisserions pas de place aux innovations à venir. Et il y en aura, car la R&D va désormais très vite. Nous avons décidé d’être énergie-agnostiques pour être en mesure de travailler avec toutes les technologies existantes et à venir. Car la solution sera plurielle. Nous devons donc rester adaptables et flexibles face aux progrès technologiques.

Quelles peuvent être les conséquences de cette décarbonation en marche sur les services mêmes de CMA CGM, en termes de vitesse de navigation, de taille des navires ou encore de redéfinition des routes maritimes, notamment pour la desserte des pays du Sud et de l’Afrique ?

Tous ces points doivent encore être analysés. En 2028, nous disposerons de 129 navires capables de brûler des énergies alternatives décarbonées. Il est évident qu’une partie d’entre eux sera déployée selon un axe nord-sud. Nous avons récemment mis en ligne un navire fonctionnant au GNL sur notre service Asie-Afrique. Le CMA CGM Tivoli a rallié Dakar et Conakry en juillet, pendant que le CMA CGM Scandolia a fait escale au Ghana et au Nigeria. Nous faisons, sur ce point, figure de pionnier sur la desserte de l’Afrique.

Cette décarbonation aura-t-elle également un impact sur la conception des navires ?

Les navires évoluent, et leur design en même temps. En février, la compagnie a dévoilé sa toute dernière série de 10 porte-conteneurs, unique au monde et conçue pour gagner en efficacité énergétique, avec de nouvelles dimensions pour améliorer les performances aéro- et hydrodynamiques, le déplacement de la superstructure désormais située à l’avant du navire, une étrave presque inversée, avec un bulbe intégré. Ce nouveau design permet de réduire jusqu’à 20 % des émissions de CO2 par rapport à un navire classique de même taille et utilisant un carburant conventionnel. Nous avons également procédé au rétrofit [remplacement d’un moteur thermique par un propulseur électrique ou hybride] de deux de nos navires fonctionnant dorénavant au méthanol.

Où en est le projet de navire roulier à voile que vous développez en partenariat depuis plusieurs années ?

Comme je le disais, nous ne croyons pas à une solution unique. Pour réduire l’empreinte carbone de ses activités, CMA CGM explore donc toutes les solutions innovantes, énergétiques ou technologiques, et l’assistance vélique est un de ces axes d’exploration. Depuis 2022, nous soutenons Neoline, start-up française qui travaille sur le développement du premier navire RoRo à voiles. Le projet avance à grands pas et le navire quittera le chantier à la mi-2025 pour être déployé sur la route transatlantique. Si nos chargeurs nous suivent dans cette démarche, ce navire pilote pourrait être le premier d’une longue série.

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