Maroc : Najib Boulif aux avant-postes
Pour alléger le coût des subventions, le ministre des Affaires générales et de la Gouvernance, Najib Boulif, a mis en place une indexation partielle du prix des carburants. Première étape d’une réforme très attendue ?
L’homme de la rentrée, au Maroc, c’est lui. Mohamed Najib Boulif a été propulsé au coeur de l’actualité par la hausse du prix des carburants, survenue le 16 septembre. Une augmentation causée par le décret sur le nouveau barème des tarifs des hydrocarbures, publié au Bulletin officiel et dont Boulif avait fait la priorité de son ministère des Affaires générales et de la Gouvernance.
Voilà donc lancée la réforme de la compensation – comprenez : le système de subventions sur les produits de consommation courante (super, gazole, farine de blé tendre, sucre), qui pèse toujours plus sur le budget de l’État. En 2012, les dépenses de compensation se sont élevées à 54,9 milliards de dirhams (environ 5 milliards d’euros), près de cinq fois le budget alloué au ministère de la Santé. Un record absolu, qui dépasse les crédits ouverts par la loi de finances. Celle-ci ne prévoyait « que » 45,5 milliards de dirhams (dont 14 milliards d’arriérés au titre de l’année 2011) pour ce seul poste budgétaire, une somme déjà supérieure à l’enveloppe de l’Éducation nationale (le ministère le mieux doté, avec 42,2 milliards de dirhams) et même aux budgets cumulés de la Défense nationale et de l’Intérieur (qui totalisaient 50,4 milliards de dirhams).
Homme de dossiers, plutôt affable, « Barberousse » sait se montrer tranchant quand il s’agit des affaires de l’État.
Bête noire
Le nouveau système, que supervisera Najib Boulif, consiste à indexer partiellement les prix de l’essence (super), du diesel et du fioul industriel sur les cours mondiaux des hydrocarbures. Jusqu’à présent, le prix à la pompe était fixe, les variations sur le marché international étant intégralement compensées par l’État. Ce tarif fixe est supprimé. Les prix seront désormais révisés mensuellement, mais ils resteront inférieurs à ceux du marché grâce au maintien d’une subvention, fixée par décret. De quoi limiter les dégâts pour les finances publiques.
Dans la réforme de la Caisse de compensation, le prochain défi est la subvention sur le gaz butane, majoritairement utilisé pour les usages domestiques, dont le chauffage. Aujourd’hui, la bouteille de 3 kg est vendue au consommateur 10 dirhams, et celle de 12 kg 40 dirhams. Le coût de revient est environ trois fois plus élevé. L’État continue de payer la différence, contre toute logique redistributive, puisque les riches consomment plus que les pauvres. Une mesure qui pourrait faire du ministre, valeur montante du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste), la bête noire des protestataires.
« Barberousse » – comme on le surnomme – est un homme de dossiers, plutôt affable d’après ses collaborateurs, mais qui sait se montrer plus tranchant quand il s’agit des affaires de l’État. Dans une formation qui compte beaucoup de cadres universitaires, il ne détonne pas. Docteur en sciences économiques de l’université Paris-II Panthéon-Assas, Najib Boulif a aussi obtenu un doctorat d’État à l’université Sidi-Mohamed-Ben-Abdellah de Fès. Et jusqu’à son entrée dans le gouvernement Benkirane, en janvier 2012, il enseignait l’économie à Tanger – la ville où il est né, le 1er janvier 1964.
Siégeant au Parlement depuis 2002, il connaît bien les arcanes des lois de finances, à tel point que ses camarades le pressentaient au ministère de l’Économie et des Finances, finalement attribué en janvier 2012 à Nizar Baraka, son prédécesseur au ministère des Affaires générales. Et c’est très certainement pour laisser les coudées franches à ce dernier que le ministère du Budget n’a pas été confié à Najib Boulif.
Si le portefeuille qui lui est échu paraît modeste, il peut en réalité servir de tremplin à une carrière politique ou administrative. Traditionnellement, le ministre qui en est chargé est un proche du chef du gouvernement. C’était le cas du socialiste Ahmed Lahlimi, véritable bras droit d’Abderrahmane Youssoufi, Premier ministre du gouvernement d’alternance, de 1998 à 2002. En 2003, il a rebondi comme haut commissaire au Plan, un poste qu’il occupe encore et où il préside aux statistiques, aux études sur les politiques sociales et au recensement général de la population. C’était aussi vrai de 2007 à 2012, quand Nizar Baraka, gendre du Premier ministre Abbas El Fassi, était considéré officieusement comme son principal conseiller économique. Promu au ministère de l’Économie et des Finances, Baraka a ensuite été nommé président du Conseil économique, social et environnemental à la suite de la démission collective de son parti, l’Istiqlal, du gouvernement Benkirane.
Najib Boulif peut également s’appuyer sur ses réseaux internationaux. Des contacts établis en tant que professeur et conférencier, mais pas seulement. Président du groupe d’amitié maroco-turque au Parlement marocain, il est l’un des défenseurs du libéralisme social à la sauce AKP (Parti de la justice et du développement turc).
Élu trois fois député PJD de Tanger, Mohamed Najib Boulif avait réussi en novembre 2011 le petit exploit de mener à la victoire deux de ses colistiers, emportant trois des cinq sièges de la circonscription de Tanger-Asilah. Le PJD avait alors recueilli sur sa liste 47 % des suffrages locaux. Les Tangérois avaient été près de trois fois plus nombreux à voter pour la formation islamiste qu’en 2007 (41 433 voix contre 14 818). L’élection a ensuite été invalidée par le Conseil constitutionnel. Les magistrats ont estimé qu’une affiche électorale sur laquelle figurait une mosquée enfreignait la loi, qui interdit l’usage de symboles religieux pendant les campagnes. Aux élections partielles, le PJD a tout de même fait un bon score, remportant deux des trois sièges remis en jeu. La preuve que l’effet Boulif marche encore.
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