Au Maroc, l’enquête sur le « groupe Al Khair » révèle les dessous de la plus grande arnaque de l’histoire du royaume

À l’origine de cette pyramide de Ponzi tentaculaire, des criminelles aux allures de femmes au foyer traditionnelles qui ont arnaqué près d’un millier de personnes et récolté plus de 720 millions de dirhams.

Une arrestation au Maroc © DR

Une arrestation au Maroc © DR

Publié le 26 septembre 2024 Lecture : 4 minutes.

Plus de 720 millions de dirhams dépouillés (soit plus de 66,5 millions d’euros), près de 900 plaintes déposées auprès du ministère public (parquet général) et 19 personnes mises en examen et placées en détention provisoire. Voici le bilan de l’affaire dite du « groupe Al Khair », un vaste réseau d’escroquerie pyramidale ayant sévi à Tanger, au nord du Maroc, et fait des centaines de victimes au royaume et parmi les Marocains résidant à l’étranger (MRE).

Les faits remontent à février 2022. Sur les réseaux sociaux, trois femmes originaires de Tanger font alors la promotion d’un système de « tontine« , une sorte d’épargne collective et informelle permettant de générer des revenus ou d’éviter de souscrire à un crédit bancaire. Concrètement : il suffit qu’un groupe de personnes cotise mensuellement une certaine somme, avant que celle-ci ne leur soit redistribuée à tour de rôle. Dans ce cas précis, les « influenceuses » tangéroises se présentent sous la bannière d’une entreprise en apparence formelle, structurée et homologuée : le groupe Al Khair (« bienfaisance » en arabe).

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La « tontine » était une pyramide de Ponzi

Les dames, aux allures de parfaites housewives marocaines, promettent des gains alléchants : un dépôt unique de 1 800 DH et la garantie de récupérer 10 000 DH au bout de six mois. Le tout est halalisé et légitimé à grand renfort de fqihs et autres pseudo figures religieuses donnant leurs bénédictions au groupe Al Khair, à travers de courtes vidéos. Certains affirment même qu’une partie des sommes collectées financent des œuvres de charité. Il n’en faut pas plus pour attirer les premières victimes, principalement des femmes et majoritairement issues de la classe ouvrière : salariées d’usine, femmes de ménage…

Al Khair prend encore plus d’ampleur lorsque les « fondatrices » du système, dirigé par une certaine Yousra, la « présidente » du groupe, proposent une nouvelle « formule » : une mise de 12 600 DH pour un gain de 30 000 DH au bout de quelques semaines, et incitent à coopter de nouvelles personnes afin de maximiser encore un peu plus les bénéfices perçus. Les premières participantes ont effectivement perçu des gains, mais ceux-ci étaient uniquement financés par les dépôts des nouvelles arrivantes. Al Khair n’était pas une « tontine » mais une pyramide de Ponzi à grande échelle, façon Bernie Madoff, le plus grand escroc du XXIe siècle.

Le groupe Al Khair n’a d’ailleurs, en réalité, aucune existence officielle, il est simplement administré à travers des dizaines de groupes et boucles Whatsapp, réunissant des centaines de participants originaires du Maroc, d’Europe et des États-Unis. En septembre 2023, les dépôts atteignent plus de 720 millions de DH. C’est à ce moment-là que des tensions éclatent entre Yousra, la « présidente » et les « membres fondatrices » du groupe, puis l’envoi des gains aux participantes s’interrompt brutalement, sans aucune explication.

Les organisatrices de l’arnaque se déchirent

C’est seulement en juillet de l’année suivante que quatre femmes escroquées déposent plainte auprès de la Brigade nationale de la Police Judiciaire (BNPJ) contre le groupe Al Khair. Quelques jours auparavant, une violente altercation aurait éclaté dans un centre commercial de la ville du Détroit entre la présidente, Yousra, et l’une des « directrices des recettes de la Caisse de garantie » et administratrice d’un groupe Whatsapp. Cette dernière, s’étant rendu compte de l’ampleur de l’arnaque, réclamait sa part. C’est ainsi qu’elle a encouragé d’autres administratrices à déposer plainte contre Yousra, tout en sachant qu’elles risquent toutes très gros aux yeux de la loi.

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Les agents de la BNPJ ont immédiatement ouvert une enquête et sont allés de surprises en rebondissements. Dès les premiers dépôts de plainte, l’information a fuité dans tout Tanger et les policiers ont fait face à un déferlement de témoignages, parfois plus d’une centaine par jour. Le parquet a ensuite ouvert une information judiciaire et décidé de poursuivre plusieurs membres du groupe Al Khair. Parmi elles : la présidente, Yousra, devenue « l’ennemie publique numéro 1 », mais volatilisée dans la nature. Un petit groupe d’administratrices, en cavale en Allemagne, ont quant à elles passé l’été à publier des selfies sur les réseaux sociaux pour narguer les autorités. L’une des fondatrices s’est donné la mort le 11 août dernier en avalant de l’acide sulfurique afin d’échapper aux poursuites. Une véritable telenovelas mexicaine.

Les premières investigations ont révélé un modus operandi bien rodé de la part du « groupe Al Khair », qui ciblait tout principalement des femmes issues de milieux modestes. Mais ce n’est probablement que la partie visible de l’iceberg. En effet, selon certaines informations parues dans la presse marocaine, une femme de ménage escroquée irait jusqu’à réclamer la restitution d’une contribution de 500 000 DH. D’après certaines sources policières et judiciaires, certaines de ces femmes seraient en réalité les prête-nom d’individus plus fortunés et qui auraient bien plus profité de cette arnaque pyramidale, touchant des gains injustifiés qui ont pu atteindre au moins 300 000 DH.

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Énième coup de théâtre : le 22 septembre, la fameuse Yousra et son époux ont finalement été appréhendés par les agents de la BNPJ à la gare de Tanger-Ville alors qu’ils descendaient du TGV Al Boraq. Son frère a également été arrêté, quelques jours avant. L’arrestation de Yousra devrait être un tournant dans cette affaire hors normes, déjà considérée comme la plus grande escroquerie de l’histoire du Maroc. Pour l’instant, les 19 personnes placées en détention provisoire sont suspectées d’escroquerie, abus de confiance, collecte d’argent auprès d’un public sans autorisation et sollicitation d’une charité publique. Au total, près de 100 personnes pourraient risquer des poursuites. En tout cas toutes celles qui ont reçu des montants et les ont redistribués.

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