Aux Émirats arabes unis, la baisse du taux de fécondité n’en finit pas d’inquiéter
Depuis vingt ans, la natalité n’a cessé de reculer aux Émirats, et les locaux se sentent de plus en plus minoritaires dans un pays qui accueille traditionnellement énormément de travailleurs étrangers. Les autorités multiplient les mesures incitatives, mais les causes du phénomène sont profondes.
Actuellement, les femmes émiraties ont environ deux fois moins d’enfants que n’en avaient leurs grand-mères en 1970. Selon les données officielles, le taux de fécondité aux Émirats arabes unis (EAU) est passé de 6,7 par femme en 1970 à 3,7 en 2017. Emblématique de cette évolution qui risque à terme de poser un réel problème au pays, Shaima, une jeune étudiante de 21 ans, qui vie à Abou Dhabi avec ses quatre frères et ses deux parents, s’est confiée au Financial Times (FT).
D’un point de vue occidental, Shaima semble déjà vivre au sein d’une famille nombreuse. Or, elle explique au quotidien britannique que son père avait onze frères et sœurs, à une époque où les familles de la capitale étaient « légendairement nombreuses », écrit le journal. « La réduction des générations dans la famille de cette jeune femme de 21 ans reflète un changement social spectaculaire aux Émirats arabes unis », poursuit le FT. Même »bouleversant » pour Shaima.
Dans un pays qui attire des millions de travailleurs étrangers afin d’alimenter une économie qui s’est développée de façon fulgurante depuis les années 1960, les Émiratis s’inquiètent du fait d’appartenir à une minorité sur leur propre terre. Selon les Nations unies (ONU), les expatriés représentent 93,5 % de la population des EAU, qui compte environ 9,5 millions d’habitants.
Ces travailleurs étrangers ont largement contribué à l’essor économique des Émirats, ex-nation tribale et pauvre, devenue en peu de temps l’un des pays au niveau de vie parmi les plus élevés de la région.
Les Émirats arabes unis ne fournissent pas de statistiques détaillées sur la composition de leur population, mais les données du Centre d’affaires et de tourisme de Dubaï montrent que la population étrangère reste supérieure à la population locale. Car, si le nombre d’Émiratis à Dubaï a augmenté de 31 % entre 2015 et 2023, celui des étrangers a progressé de 46 %.
D’ici à 2040, Dubaï prévoit une population de 5,8 millions d’habitants, contre 3,5 millions actuellement. Les expatriés installés aux Émirats n’ont pas vocation à devenir des citoyens émiratis, mais, ces dernières années, le gouvernement a prolongé la durée des visas et surtout encouragé les étrangers à acheter des biens immobiliers ou à investir dans les entreprises locales.
Le sentiment d’être « assiégé »
Autre témoin interrogé par le FT, William Guéraiche, professeur associé à l’université de Wollongong à Dubaï, estime que la démographie est devenue un sujet sensible dans le pays, car le déséquilibre entre les Émiratis et les étrangers va continuer à s’accentuer. « À tort ou à raison, les Émiratis se sentent de plus en plus assiégés. C’est la perception générale, et les autorités doivent y faire face », souligne-t-il.
De son côté, Luca Maria Pesando, professeur agrégé en recherche sociale et politique publique à la New York University (NYU) Abou Dhabi, admet que cette baisse du taux de fécondité est « très rapide pour une transition démographique ». Toutefois, le taux de fécondité actuel des femmes émiraties (3,2) dépasse encore le taux de renouvellement des générations, fixé à 2,1, ce qui signifie que le nombre d’Émiratis ne diminue pas. Pour autant, « si ce taux a été divisé par deux en vingt ans, il peut l’être à nouveau », souligne le professeur.
Du côté des autorités, il n’y a qu’une seule solution pour enrayer le déclin : encourager les autochtones à avoir plus d’enfants. D’autant plus que « les familles émiraties jouent un rôle essentiel dans la stabilité sociale et la préservation de l’identité nationale », glisse Hamad Ali Al Dhaheri, sous-secrétaire du département du développement communautaire d’Abou Dhabi.
Dans les faits, le gouvernement a toujours offert de généreuses subventions aux familles locales, qu’il s’agisse d’aides et de prêts pour le logement et les mariages, de conseils matrimoniaux ou d’aide à la garde des enfants. Mais un nouveau « programme de soutien à la croissance des familles émiraties » mis en place à Abou Dhabi, se concentre particulièrement sur la taille des familles, avec des incitations telles qu’une réduction de la dette, de prêt à la naissance d’un quatrième, d’un cinquième et d’un sixième enfant.
L’émancipation des femmes émiraties
Néanmoins, la baisse du taux de fécondité s’explique aussi par d’autres facteurs. La réussite économique du pays en est un. En effet, l’augmentation du coût de la vie décourage certains Émiratis de faire plus d’enfants. Beaucoup pointent du doigt le coût des crèches et les frais d’éducation. Mais ce n’est pas tout. Depuis plusieurs années, les EAU encouragent les femmes à faire des études supérieures, à entrer dans la vie active et à contribuer à l’économie nationale. Ce qui a incité nombre d’entre elles à retarder mariage et enfants.
Les Émirats comptent une forte proportion de femmes actives par rapport à l’ensemble de la région, puisque 55 % des personnes âgées de plus de 15 ans font partie de la population active. De nombreuses femmes souhaitent conserver cette indépendance, et certaines désirent trouver un équilibre entre carrière professionnelle et éducation des enfants. L’allongement du délai de congé maternité (passé à soixante jours) ne suffira probablement pas à répondre à cette aspiration.
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