Alexandre Dumas, histoire d’un « nègre » devenu star

Villers-Cotterêts, sa ville natale, accueille le sommet de la Francophonie le 4 octobre. « Le Comte de Monte-Cristo », l’un de ses chefs-d’œuvre, est adapté au cinéma et cartonne au box-office. Deux événements qui remettent l’écrivain, victime de racisme sa vie durant et panthéonisé en 2002, sur le devant de la scène.

Le romancier Alexandre Dumas (1802-1870). © Los Angeles County Museum ; LACMA

Le romancier Alexandre Dumas (1802-1870). © Los Angeles County Museum ; LACMA

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Publié le 3 octobre 2024 Lecture : 5 minutes.

Le 4 octobre, à Villers-Cotterêts, le 19ᵉ sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) s’ouvre à la Cité internationale de la langue française, inaugurée en 2023, dans le château Renaissance où François Iᵉʳ signa, en 1539, l’ordonnance par laquelle le français devint la langue officielle de son royaume.

Dans cette même cité de l’Aisne, au 46 rue de Lormet, dans une maison sise à quelques encablures dudit château, naquit, le 24 juillet 1802, l’un des plus créatifs, truculents, féconds – et assurément des plus géniaux – romanciers que la France ait jamais engendrés : Alexandre Dumas.

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Outre le sommet de l’OIF, l’immense succès du Comte de Monte-Cristo, adaptation cinématographique du roman du même nom, remet Dumas sur le devant de la scène. Énième revanche posthume pour celui qui, sa vie durant, fut qualifié de « nègre » par ceux qui, non contents de charrier les préjugés de leur temps, jalousaient sa gloire littéraire et sa bonne­ fortune – aussi bien auprès des femmes qu’en espèces sonnantes et trébuchantes.

Dumas, petit-fils d’esclave

Quelques mots sur son histoire. Son grand-père paternel, le marquis Davy de la Pailleterie, venu en 1760 tenter sa chance à Saint-Domingue, alors l’île française la plus riche des Antilles, engrossa par trois fois une esclave noire ou « mulâtresse » d’origine africaine, Marie « du mas », qu’il avait achetée puis affranchie.

Leur fils, Thomas-Alexandre Dumas, que son père vendit puis racheta, devint général et suivit Bonaparte dans la campagne d’Égypte (il commanda la cavalerie de l’armée d’Orient). En 1802, il refusa d’aller mater la révolte d’Haïti. Oublieux de ses faits d’armes, le futur empereur des Français lui voua dès lors une incoercible rancune.

Son fils, « notre » Alexandre Dumas, bien qu’il perdît son père alors qu’il n’avait que 4 ans, ne cessa d’éprouver pour ce romanesque géniteur une admiration sans bornes. Sans doute cette figure paternelle, à la fois téméraire et dépressive, a-t-elle inspiré à l’écrivain la force herculéenne de Porthos et la mélancolie d’Athos, deux des trois (quatre, en fait) Mousquetaires.

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« Bâtardise et négritude »

Passons sur ce torrent de pages éblouissantes que sont Le Comte de Monte-Cristo, La Reine Margot, La Dame de Monsoreau, Joseph Balsamo… Dévoreur de femmes et de plats mitonnés, amoureux de bonne chère et de belles chairs, ce personnage larger than life, comme disent les Américains, ne fut pas seulement le contemporain de Hugo, Balzac et Barbey d’Aurevilly. Il fut aussi, toute sa vie, moqué pour ses origines (« bâtardise et négritude », dit son meilleur biographe, Daniel Zimmermann).

Petit florilège. « Son visage est brun, ses cheveux crépus et longs mériteraient peut-être un peu le nom de laine. L’ensemble de son visage est plus étrange que beau, et rappelle étrangement l’ossification des nègres », en dit un obscur Lecomte.

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« Le physique de M. Dumas est assez connu : stature de tambour-major, membres d’Hercule dans toute l’extension possible, lèvres saillantes, nez africain, tête crépue, visage bronzé. Son origine est écrite d’un bout à l’autre de sa personne, mais elle se révèle beaucoup plus encore dans son caractère. Grattez l’écorce de M. Dumas, et vous trouverez le sauvage », écrit Eugène de Mirecourt dans un ignoble pamphlet.

En 1844, Balzac, dépité de voir que son feuilleton, qui ne passionne pas les lecteurs, est remplacé par un nouveau récit, signé, lui, par Dumas, se plaint au patron du journal : « Vous n’allez pas me comparer à ce nègre ! » Même Balzac, hélas.

Hassan II et le salon mauresque

Dumas n’en avait cure, du moins en apparence. Il écrivait sa vie comme il racontait ses histoires : avec panache, vigueur, passion. Devenu très riche à la suite du triomphe du Comte de Monte-Cristo, il fit bâtir un château à Port-Marly, près de Paris. Il le décora comme un palais des mille et une nuits digne du héros de son roman et y reçut le tout-Paris. Conviés par leur hôte prodigue, écrivains jaloux, cocottes lascives ou marquises poudrées de rose se bouchaient moins le nez dès qu’il s’agissait de faire bombance – « Ça pue le nègre, ici », avait un jour craché Mademoiselle Mars, l’une des comédiennes vedettes de l’époque.

Le salon mauresque du château, que Dumas fit dessiner par deux artistes tunisiens attachés au bey de Tunis, fut restauré, dans les années 1970, grâce au mécénat du roi Hassan II du Maroc. Devenu musée, le château se visite aujourd’hui.

Dumas brûla son argent comme il brûlait sa vie. Mais, tel un phénix, il revit à travers ses œuvres et, aujourd’hui, « cartonne » au box-office : Les Trois Mousquetaires (6 millions d’entrées pour les volets 1 et 2, intitulés D’Artagnan et Milady), Le Comte de Monte-Cristo (8,3 millions d’entrées).

Ces succès populaires prouvent, s’il en était besoin, que Dumas reste le plus grand scénariste de tous les temps. Et cela même quand les réalisateurs affadissent ses intrigues, suppriment des personnages pour simplifier (croient-ils) la narration et jugent bon d’inventer des dialogues « adaptés à notre époque » plutôt que d’avoir la modestie de reconnaître que Dumas pense, écrit et met en scène infiniment mieux qu’eux.

« Les Trois Mousquetaires »

Peu importe, Dumas résiste à tout. Y compris à ce procès en légitimité par lequel d’aucuns tentent d’attribuer la paternité de ses œuvres à Auguste Maquet et à l’équipe de nègres (dans le sens, cette fois, d’auxiliaires littéraires) qui lui fournissaient la trame de ses romans, lesquels sortaient à une cadence folle dans les journaux sous la forme de feuilleton quotidien.

À ce procès en légitimité s’ajoute un procès « intellectuel ». Que le « bâtard nègre » sache écrire, passe encore, mais qu’il pense avec finesse, c’en était trop. Ainsi, pour les Trissotin et les Verdurin de la littérature, Dumas est un conteur, un coloriste, mais « il manque de fond ». Comme si la somme que représentent Les Trois Mousquetaires, Vingt ans après et Le Vicomte de Bragelonne n’était pas une Recherche du temps perdu avant l’heure, une fresque grandiose où l’analyse psychologique des personnages, que l’on suit de leur jeunesse héroïque jusqu’à leur mélancolique crépuscule, n’atteignait pas, justement, des abîmes de profondeur. Dumas a su y rendre, comme bien peu d’auteurs, le douloureux écoulement du temps, le passage des illusions de la jeunesse à l’amertume du soir de la vie quand, à l’heure de la reddition des comptes, le caractère dérisoire de nos combats ne peut plus être celé.

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