Sommet Afrique-France de Nairobi : sortir enfin d’un paradoxe ?

Prévu en 2026, le prochain sommet Afrique-France se déroulera pour la première fois dans un pays non-francophone. L’occasion, peut-être, pour Paris, d’assumer clairement son choix de s’éloigner des pays de son ancien pré carré pour conquérir de nouvelles parts de marché, loin du débat sur la perte d’influence française en Afrique. Et l’opportunité, pour le continent, qui reste très courtisé, de se fixer des priorités.

Le président français, Emmanuel Macron (à dr.), et le président kényan, William Ruto, en marge de la 79e session de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, le 25 septembre 2024. © LUDOVIC MARIN/AFP

Le président français, Emmanuel Macron (à dr.), et le président kényan, William Ruto, en marge de la 79e session de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, le 25 septembre 2024. © LUDOVIC MARIN/AFP

Adrien Possou
  • Adrien Poussou

    Ancien ministre centrafricain de la Communication et expert en géopolitique.

Publié le 13 octobre 2024 Lecture : 6 minutes.

Une grande première. Le prochain sommet Afrique-France se tiendra non pas dans un pays francophone, comme c’est la tradition depuis la création de ces rencontres, en 1973, mais au Kenya, pays anglophone. Les présidents français et kényan en ont fait l’annonce le 25 septembre, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York. Selon le communiqué conjoint publié juste après le tête-à-tête entre les deux dirigeants, les chefs d’État et de gouvernement du continent qui seront conviés à Nairobi auront l’occasion de travailler sur des thèmes liés au défi climatique, à savoir : « la préservation de l’environnement », « la réforme de l’architecture financière internationale » et la promotion d’un « multilatéralisme inclusif » qui prend mieux en compte les aspirations des pays africains. D’ailleurs, Emmanuel Macron et William Ruto n’ont pas manqué de préciser qu’ils étaient « fortement mobilisés » sur ces problématiques, notamment au sein du Pacte de Paris pour les peuples et la planète, lancé en 2023.

Baromètre de popularité

Après l’édition 2021 organisée à Montpellier sous le signe du renouveau – Paris ayant choisi de ne pas convier les chefs d’État mais de faire la part belle aux représentants de la société civile –, l’édition 2026 marquera donc une réelle rupture. Pour autant, est-ce à dire que les autorités françaises, qui ne cessent de se tourner vers d’autres partenaires, vont désormais assumer leur éloignement des pays appartenant à leur ancien « pré carré » ? La question peut se poser.

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Créés à l’instigation du chef de l’État nigérien Hamani Diori, les sommets Afrique-France avait officiellement pour objectif de faire entrer les relations franco-africaines dans l’ère postcoloniale. Dans les faits, ils figuraient une association familiale réunissant l’Hexagone et les pays africains d’expression française. Pendant des décennies, la France a ainsi utilisé ces raouts comme un instrument de coopération réservé aux chefs d’État. C’était le baromètre permettant d’évaluer le degré de proximité entre un président d’une ancienne colonie et le locataire de l’Élysée. Les dirigeants africains qui entretenaient d’excellentes relations avec Paris, qui étaient dans ses bonnes grâces, avaient droit à un traitement royal lors des sommets. En plus, ils avaient l’assurance que leurs doléances seraient prises en compte de façon prioritaire par les services du défunt ministère de Coopération, rue Monsieur. En revanche, ceux qui avaient le malheur de déplaire aux officiels français ou qui étaient considérés par la cellule Afrique de l’Élysée comme des moutons noirs des relations franco-africaines devenaient infréquentables, quand ils n’étaient pas purement et simplement ostracisés, y compris par leurs pairs africains.

Le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, le Zaïrois Mobutu Sese Seko et l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny avaient ainsi leur rond de serviette dans ces sommets, car toujours dans les bonnes grâces des dirigeants français. À l’inverse, on se souviendra que c’est lors du sixième sommet, tenu en mai 1979 à Kigali, au Rwanda, que la décision fut  prise de mettre en place une commission d’enquête internationale sur les événements de Bangui. L’ex-empereur centrafricain, Jean-Bedel Bokassa, accusé d’avoir participé personnellement à la répression sanglante des manifestations de lycéens et d’étudiants réclamant le paiement des salaires de leurs parents et de leurs bourses d’études, avait dû montrer patte blanche pour y être convié. À cette occasion, il avait pu mesurer l’étendue de son isolement sur la scène internationale et au sein de la « famille » francophone. Alors que quatre ans plus tôt, en 1975, le sommet franco-africain se tenait chez lui, à Bangui.

Les sirènes du business

On retiendra que le nouveau contexte mondial, qui a suivi la chute du mur de Berlin et où la compétitivité entre les puissances est le maître mot, a poussé la France à changer sa politique et à élargir sa base originelle en Afrique. Malgré les protestations de ses amis traditionnels des anciens territoires de l’Afrique équatoriale française (AEF) et de l’Afrique occidentale française (AOF), s’offusquant pour ainsi dire contre l’intrusion « d’amis extérieurs », presque tous les pays du continent ont désormais droit à leur carton d’invitation pour assister au sommet.

Si toutes les puissances – grandes, moyennes, émergentes – comme l’Inde, le Japon, le Qatar, la Russie, etc. ont chacune leur sommet Afrique et se bousculent pour avoir une place de choix sur le continent, c’est parce qu’il y a des affaires à faire.

Et pour cause : la « conjugaison de plusieurs facteurs a modifié en profondeur, et de façon irréversible, la nature des relations entre la France et les États africains qui, depuis 1960, lui étaient étroitement liés », analyse l’ancien Premier ministre centrafricain Jean-Paul Ngoupandé dans son ouvrage L’Afrique sans la France. Parmi ces facteurs, il en identifie deux : « la mondialisation et la rude concurrence qu’elle impose, [lesquelles] ne laissent que très peu de place aux sentiments », ainsi que « le renouvellement de génération de dirigeants en France ». Mais il y a un troisième facteur plus prosaïque, c’est l’argent. Ce qu’il est convenu d’appeler, avec la sophistication du langage diplomatique, le réalisme des affaires. En tout cas, pour Paris, l’objectif est clair : conquérir de nouvelles parts de marché, loin du débat sur la perte d’influence française en Afrique.

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Les chiffres montrent que les échanges économiques entre la France et les autres pays du continent dépassent largement ceux des pays de son aire d’influence traditionnelle. En 2023, par exemple, les principaux partenaires de la France en Afrique subsaharienne étaient le Nigéria et l’Afrique du Sud avec respectivement quelque 5 milliards d’euros et 3,3 milliards d’euros en volume d’échange. La Côte d’Ivoire, pays réputé appartenir à l’ancien « pré carré » français n’arrive qu’en troisième position, avec 2,4 milliards d’euros. Ancienne colonie britannique, le Nigéria est ainsi devenu le premier partenaire commercial de la France en Afrique subsaharienne et le quatrième en Afrique, derrière le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Une centaine d’entreprises françaises opèrent dans ce pays de plus 225 millions d’habitants et emploient quelque 10 000 personnes, principalement dans les secteurs de l’énergie (pétrole et gaz), de la banque, des infrastructures et de la logistique. Non seulement le volume des échanges entre la France avec le géant ouest-africain a doublé en dix ans, mais, avec un stock d’investissement s’élevant à 10 milliards de dollars, Paris est aussi devenu l’un des premiers investisseurs étrangers du pays et son deuxième plus grand créancier bilatéral, après la Chine.

Nécessaire clarification

Dans la liste des principaux fournisseurs d’hydrocarbures de la France, le Nigéria occupe la troisième place avec 10 %, suivi de l’Algérie et de l’Angola, qui livrent respectivement 9 % et 4,5 % de produits pétroliers. On a beaucoup glosé sur les relations incestueuses de Paris avec ses anciennes colonies mais, contrairement aux idées reçues, ni le Gabon ni le Congo ne figurent dans la liste des dix premiers fournisseurs d’or noir de la France. D’ailleurs, sur la liste de ses dix premiers partenaires économiques, huit sont des pays européens, auxquels s’ajoutent la Chine et les États-Unis. Aucun pays africain n’y figure. Pis : un aussi petit État d’Afrique australe que le Lesotho a plus d’échanges commerciaux avec la France que la Centrafrique, pays emblématique de la fameuse Françafrique tant décriée. Les politiques hasardeuses et l’instabilité chronique dans ce pays d’Afrique centrale ont accéléré le départ des investisseurs français.

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Donc, si toutes les puissances – grandes, moyennes, émergentes – comme l’Inde, le Japon, le Qatar, l’Arabie saoudite, la Chine, la Turquie, la Russie (la liste n’est pas exhaustive) ont chacune leur sommet Afrique et se bousculent pour avoir une place de choix sur le continent, c’est parce qu’il y a des affaires à faire. Il appartient aux responsables africains de se fixer des priorités. En revanche, même s’il y a fort à parier que le prochain sommet Afrique-France de Nairobi n’apportera pas un changement systémique dans les rapports de la France avec les pays africains, on espère qu’il pourra au moins permettre de sortir du paradoxe qui empêche l’Hexagone d’assumer sans faux-fuyants sa nouvelle doctrine de coopération avec le continent et de clarifier son option stratégique de multilatéralisme.

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