Cameroun : la santé de Paul Biya devient tabou officiel
Par un communiqué, le ministre camerounais de l’Administration territoriale a interdit aux médias tout débat sur l’état de santé du chef de l’État, au nom de « la sécurité nationale ». Le président de 91 ans n’a fait aucune apparition publique depuis plus d’un mois.
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 11 octobre 2024 Lecture : 2 minutes.
La tentation n’est pas seulement africaine. Ces derniers mois, le candidat américain octogénaire Joe Biden tentait de masquer ses signes de fatigue, tandis que quelques décennies auparavant, le président français François Mitterrand tordait le poignet du docteur Gubler pour occulter un cancer de la prostate. L’actuel chef de l’État camerounais – président élu le plus âgé de la planète – mise sur la traditionnelle rareté de ses apparitions pour dissimuler quelques coups de mou. Mais lorsqu’on est âgé de 91 ans, on doit avoir conscience que les opposants scrutent quotidiennement la mine du chef.
C’est au Forum de coopération Chine-Afrique (Focac) organisé du 4 au 6 septembre que Paul Biya a été vu pour la dernière fois. Ce dernier était pourtant attendu à la 79e Assemblée générale des Nations unies, au sommet de la Francophonie et à la finale de la Coupe du Cameroun.
Rumeur vs communiqué
Les jours passent, la presse murmure quand elle ne charrie pas des rumeurs de décès, et le gouvernement devient de plus en plus nerveux. Dans un premier temps, le cabinet de la présidence affirmera que l’état de santé du chef de l’État est « excellent » et que celui-ci « travaille et vaque à ses occupations, à Genève ». Le gouvernement ajoutera que Biya devrait rejoindre « le Cameroun dans les tout prochains jours ».
Les « tout prochains jours » semblant échus, le ministre de l’Administration territoriale a décidé de sonner la fin de la récréation. Dans un communiqué diffusé le 10 octobre, en apparente contradiction avec les attributions du ministère de la Communication et du Conseil national de la communication, Paul Atanga Nji assène que « tout débat sur l’état de santé du président est désormais formellement interdit ». Plutôt menaçant, il affirme instruire « les gouverneurs […] de créer des cellules chargées de suivre et d’enregistrer toutes les émissions et les débats dans les médias privés et d’identifier les auteurs des commentaires tendancieux ».
Tabou contre-productif ?
Répondant à l’avance aux journalistes qui ne manqueraient pas de dénoncer une atteinte à la liberté de la presse, le ministre précise, dans son communiqué, que « les débats sur l’état de santé du président de la République relèvent de la sécurité nationale ». Certes, un chef d’État a le droit d’être malade. Certes, la récente flambée des putschs en Afrique francophone dissuade de communiquer sur une fragilité temporaire du sommet de la pyramide hiérarchique. Mais les citoyens ont le droit de savoir si leurs dirigeants sont aptes à gouverner. Et d’ailleurs, le ministre semble ignorer que son coup de menton alimente davantage les rumeurs.
Dans un pays où l’espérance de vie ne dépasse pas six décennies, il est logique qu’on anticipe l’éventuelle défaillance d’un président âgé de 91 ans. Or la succession de l’actuel locataire du palais présidentiel – plus souvent présent dans son village natal de Mvomeka’a – prend toujours la forme d’un point d’interrogation. Une élection anticipée ouvrirait-elle davantage le jeu politique, après quarante-deux ans de pouvoir de Paul Biya, ou un positionnement appuyé du rejeton Franck serait-il privilégié par les actuels gestionnaires de l’État ? Il y a deux ans, devant le président français, Emmanuel Macron, Paul Biya indiquait aux journalistes que ceux-ci seraient informés, le moment venu, de sa volonté d’être candidat à la présidentielle de 2025 ou « d’aller au village ».
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