« Poignardez les pédés » : la dérive criminelle d’un artiste camerounais

Autrefois porteur d’espoir, le Mbolé, genre musical camerounais en plein essor, a basculé vers l’appel au meurtre. Une chanson aux paroles appelant à la violence contre les minorités LGBT est devenue virale sur les réseaux sociaux.

Dans une boite de nuit camerounaise © Joan Bardeletti

Dans une boite de nuit camerounaise © Joan Bardeletti

YVES-PLUMEY-BOBO_2024

Publié le 16 octobre 2024 Lecture : 4 minutes.

Il était commun de voir les pionniers du Mbolé écumer les veillées funèbres dans les quartiers de Yaoundé et de Douala, accompagnés de djembés, chantant des morceaux porteurs d’espoir et de courage pour réconforter les familles éprouvées. Progressivement, les chants ont quitté l’anonymat des deuils pour résonner dans des studios d’enregistrement modernes. Le rythme a alors évolué et des artistes comme Petit Malo, Aristide Mpacko, Junior Belinga, Petit Bozard ou Happy d’Efoulan ont utilisé cette musique pour briser les tabous, aborder la réalité des quartiers ou, pour certains, ironiser sur la société. Bien que les pourfendeurs du genre aient accusé ces chanteurs de faire l’apologie de la drogue et du sexisme, il était jusque-là rare de voir les artistes basculer dans une violence aussi stupéfiante que celle observée ces jours-ci dans une vidéo surréaliste devenue virale sur la toile.

Ladite vidéo montre un groupe de jeunes en pleine euphorie dans une salle, chantant à plein gosier, à l’unisson, une chanson aux paroles appelant ouvertement aux violences envers les minorités LGBT du pays : Les nerfs des boys. « (…) Nous, on déteste les pédés, les porteurs de culottes, ceux qui portent les couches… pardon les gars, poignardez, poignardez les pédés ! (…) ce sont ces pédés qui me donnent les nerfs. » La chanson, devenue tendance sur Tiktok, a été reprise par des influenceurs et des artistes, en dépit des avertissements de quelques internautes, inquiets du caractère violent et dangereux de ces paroles. L’auteur de ce « poème » : Snoopy la mélodie, alias « le capitaine du ghetto ».

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@je.te.lance2

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« Le droit à la vie est garanti par l’État »

Face aux critiques, le groupe n’a rien modifié. La chanson, rendue publique dans son intégralité vendredi 11 octobre, est désormais accessible sur toutes les plateformes de téléchargement légales. Cela a suscité le courroux de quelques internautes avertis qui n’ont pas manqué d’évoquer le contexte juridique. Au Cameroun, l’article 347 du Code pénal criminalise certes les relations sexuelles entre personnes de même sexe, un crime passible de cinq ans de prison, ainsi que d’une amende pouvant atteindre 350 dollars US, soit entre 200 000 et 300 000 FCFA. Mais même si l’homosexualité est interdite, « à aucun moment, la loi ne stipule que les personnes condamnées pour ces actes perdent leurs droits fondamentaux, notamment le droit à la vie », s’est indignée l’analyste politique Yvanna Chantal Bessecke.

« Ce droit est garanti par l’État, tout comme les autres droits de l’homme », poursuit-elle. Lorsqu’un Camerounais incite à la violence en se servant de l’interdiction de l’homosexualité comme prétexte, il viole une règle fondamentale : le droit à la vie, s’offusque un internaute, rappelant que lorsqu’une personne enfreint la loi, il existe des recours légaux pour agir, tels que déposer plainte.

« En aucun cas, il ne faut encourager la violence, comme inciter à poignarder des individus – c’est absolument inadmissible », fustige Yvanna Chantal Bessecke. Le cadre légal au Cameroun est clair : bien que l’homosexualité soit punie par la loi, celle-ci prévoit des peines d’emprisonnement, et non la mort. « Si la loi avait jugé que ces actes méritaient la peine de mort, elle l’aurait prévu. Mais ce n’est pas le cas. Pourtant, certains se croient au-dessus de la loi, s’autoproclamant juges et bourreaux, comme s’ils étaient des demi-dieux, dictant eux-mêmes la justice. »

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Double danger

Les nerfs des boys, massivement diffusée et reprise par quelques influenceurs et artistes du pays, a servi de base à des « challenges » incitant aux violences à l’encontre des minorités. « En tant qu’influenceurs ou artistes, vous portez une lourde responsabilité. Encourager vos abonnés à commettre des actes violents est d’une irresponsabilité inacceptable », tonne Yvanna Chantal Bessecke.

Cette chanson est-elle une façon de dissuader tout acte d’homosexualité dans une société profondément hostile aux minorités LGBT ? Le fait que des paroles violentes soient transformées en chanson, puis reprises et amplifiées sur les réseaux sociaux, ne fait qu’aggraver le problème. « C’est terrifiant. Si cette chanson avait été ignorée, elle aurait peut-être sombré dans l’oubli. Mais elle a été popularisée, mettant doublement en danger ceux qu’elle cible. Et l’artiste s’en réjouit, revendiquant même cette violence », croit savoir Yvanna Chantal Bessecke.

Le terme « PD » ne fait pas référence à l’homosexualité, mais aux partisans de la destruction (PD).

Le manager de l’artiste
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Selon le manager de l’artiste que Jeune Afrique a contacté, le terme « PD » ne fait pas référence à l’homosexualité, mais aux « partisans de la destruction (PD) ». Il ne s’agirait donc pas, selon le manager, d’un appel à la violence contre les homosexuels. L’intervention du manager révèle toutefois une contradiction. Bien qu’il reconnaisse avoir évoqué des pratiques homosexuelles qu’il considère comme « contraires » aux mœurs africaines, il rejette tout lien entre l’utilisation du terme « PD » et les homosexuels. Qui sont donc ces partisans de la destruction (PD) ? Confronté à ses propres incohérences, ainsi qu’aux images, vidéos et références associées aux minorités homosexuelles, le manager a préféré nous renvoyer à son communiqué, qui n’était pas encore publié au moment où nous clôturions cet article.

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