L’afrobeat et la lutte globale selon Seun Kuti
Le plus jeune fils de Fela Kuti est de retour avec un nouvel album et poursuit une tournée européenne. Avec un propos toujours aussi politique. Rencontre.
Jeune Afrique avait rencontré Seun Kuti dès son premier album, Many Things, en mai 2008. Depuis, dans le sillage de son frère aîné Femi, le plus jeune fils de Fela Kuti a parcouru le monde et frotté son héritage afrobeat aux musiques de l’époque, le hip-hop notamment, au fil de collaborations avec Black Thought, du groupe américain The Roots (African Dreams, 2022), et d’apparitions avec Talib Kweli et Madlib, Janelle Monáe, ou encore avec le guitariste Carlos Santana (Black Times, en 2017).
Aujourd’hui âgé de 41 ans, il entend toujours internationaliser sa musique et perpétuer le message militant initié par son père, en invitant sur son nouvel album Damian Marley et la rappeuse zambienne Sampa the Great. Hors tournée, il se produit toujours chaque samedi au New Afrika Shrine, le club familial, à Lagos.
Critique sur l’évolution des conditions de vie au Nigeria, où « rien n’a changé », il tente d’attirer l’attention sur le sort des plus faibles. « Notre lutte est globale, affirme-t-il. À l’image du nouveau groupe que j’ai réuni, avec des éléments caribéens ou nord-africains, qui représentent la grande famille de l’afrobeat et porte notre message à travers le monde. » Il a répondu à nos questions juste avant le début de sa tournée européenne.
Jeune Afrique : Que symbolise le titre de votre nouvel album Heavier Yet (lays the crownless head), qu’on pourrait traduire par « Plus lourd pèse la tête sans couronne » ?
Seun Kuti : C’est une référence à un vers de Shakespeare, tiré de Henri IV, qui dit en substance que le poids de la couronne est difficile à porter, une assertion largement reprise dans le monde anglophone. Cette relecture est une réponse dans une perspective inversée et révolutionnaire, qui évoque le poids de la vie pour tout un chacun, les gens du peuple, ceux qui ne portent pas de couronne, mais qui parfois souffrent et n’en pensent pas moins. Le poids de la vie n’est-il pas plus lourd pour eux ?
Quels autres thèmes abordez-vous dans ces nouvelles chansons ?
Mes chansons sont souvent adressées aux Africains, comme « Mi Alula » sur ce nouvel album, qui évoque l’impact des religions étrangères ici, les dieux étrangers qui ont remplacé nos héros, que nous devrions respecter ou adorer. Mais j’essaie de leur donner une perspective globale qui décrive la situation que nous connaissons et subissons de manière collective. J’évoque des problèmes locaux qui peuvent parler aux Africains du monde entier. Notre lutte est globale.
Les Nigérians ont manifesté cet été et plus récemment, en raison de l’inflation et du coût de la vie.
À mon sens, les conditions de vie n’ont pas évolué depuis les années 1960 pour le peuple nigérian. Ces manifestations sont plutôt celles de catégories socio-professionnelles qui essaient d’attirer l’attention et de négocier les intérêts de leur propre secteur. Je préférerais que nous négociions nos intérêts conjointement avec ceux des plus démunis. La pauvreté et la faim ont toujours existé dans ce pays. Nous devons trouver un moyen de rassembler la population pour nous affranchir des élites politiques et économiques qui n’ont pas vraiment d’agenda pour le petit peuple, ou les forcer à faire évoluer leur programme en direction des plus faibles. Nous vivons dans un système capitaliste, néolibéral et impérialiste, et cette génération doit s’organiser pour enfin acquérir sa souveraineté et ne plus être sous le contrôle des puissances politiques et économiques étrangères. Les travailleurs sont plus pauvres aujourd’hui que quand j’étais jeune, par exemple. Il est temps de construire une nation viable pour chacun d’entre nous.
L’exploitation du pétrole aurait pourtant pu être un levier de développement…
Elle n’a eu aucun impact positif. Je répète que les dirigeants qui contrôlent cette industrie ont des politiques et des intentions négatives pour l’homme et la nature. Le pétrole serait être une bénédiction pour l’humanité s’il était bien exploité. Si nous ne contrôlons pas le système, il est vecteur de pression et d’oppression pour l’homme et la nature. Nous faisons les frais du gâchis caractéristique des excès du libéralisme, qui nous entraîne vers les impacts négatifs que nous connaissons, exploite les ressources de l’Afrique et la maintient en position de dépendance, et préfère le statu quo plutôt que réduire ses profits colossaux et ses privilèges.
En concert à Budapest (le 19/10), Milan (le 29/10), Rome (le 30/10), Londres (le 17/11), Paris (le 04/12), Montpellier (le 10/12), Amsterdam (le 13/12), Anvers (le 14/12).
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