Moi, Louis-Auguste Cyparis, esclave marron, miraculé, bête de cirque…

Avec son nouveau roman, « Ti Fol, fille du volcan », Raphaële Frier revient sur l’histoire de l’un des trois rescapés de l’éruption de la montagne Pelée, le 8 mai 1902, qui fit quelque 30 000 morts sur l’île de la Martinique.

Éruption volcanique de la montagne Pelée à la Martinique : le volcan anéantit la ville de Saint-Pierre. Gravure dans « Le Petit Parisien », 1902. Collection privée. © Bianchetti/Leemage  via AFP

Éruption volcanique de la montagne Pelée à la Martinique : le volcan anéantit la ville de Saint-Pierre. Gravure dans « Le Petit Parisien », 1902. Collection privée. © Bianchetti/Leemage via AFP

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Publié le 27 octobre 2024 Lecture : 5 minutes.

Le 7 mai 1902, les nouvelles officielles sont rassurantes, sur l’île de la Martinique. Le gouverneur Louis Mottet est revenu à Saint-Pierre accompagné de son épouse et a interdit aux navires stationnés dans la rade d’appareiller. Face aux douaniers qui le menacent de lourdes sanctions s’il contrevient à ces ordres, le capitaine Ferrata, commandant du navire napolitain Orsolina, prononce ces paroles prophétiques : « Qui me les appliquera ? Demain, vous serez tous morts. »

Onde de choc supersonique et nuée ardente

Le lendemain, jour de l’Ascension, tôt le matin, une puissante explosion se produit dans le cratère de l’Étang Sec, sur le flanc de la montagne Pelée. L’onde de choc atmosphérique supersonique se déplace à plus de 450 mètres par seconde, provoquant une surpression instantanée de 30 hectopascals. Elle est aussitôt suivie par l’émission d’un nuage brûlant composé de gaz, d’eau et de roches portées à plus de 1 000 degrés celsius, qui va s’élever à quatre kilomètres au-dessus du volcan, avant de s’effondrer sur lui-même.

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À 7 h 52 du matin, ce nuage pyroclastique ou nuée ardente, suit le cours de la Rivière Blanche à plus de 500 km/h et déferle sur Saint-Pierre. En moins de deux minutes, les quelque 30 000 habitants de la ville sont tués par l’onde de choc, les gaz, la température, l’effondrement des bâtiments, la pluie de blocs de roches. En mer, une vingtaine de navires marchands sont coulés. L’explosion de la montagne Pelée restera la catastrophe la plus meurtrière du XXe siècle, en France.

« Demain, vous serez tous morts. » Le capitaine Ferrata, qui sauva son navire et ses hommes, avait presque raison. Presque, car selon les sources, deux ou trois personnes survécurent à la tragédie. Havivra da Ifrile, une petite fille qui parvint à se réfugier, en barque, dans une grotte marine. Léon Compère, un cordonnier protégé par les murs épais de sa maison. Et enfin, Louis-Auguste Cyparis, un ouvrier noir de 27 ans, enfermé dans un cachot de la prison de Saint-Pierre pour avoir blessé un homme au couteau lors d’une bagarre dans un bar… C’est en partie l’histoire de cet homme que nous raconte la romancière française Raphaële Frier dans son superbe ouvrage, *Ti Fol, fille du volcan.

Esclavage et Cirque Barnum

De Louis-Auguste Cyparis, né Ludger Sylbaris au Prêcheur, le 1er juin 1874, qui fut aussi appelé Louis Sanson, on ne saurait rien aujourd’hui si les murs de la prison de Saint-Pierre avaient été plus fins et si la mince ouverture qui lui permettait de respirer avait été orientée vers la montagne Pelée. Gravement brûlé dans sa cage de pierre, Cyparis fut secouru trois jours après l’éruption, le 11 mai 1902, par des hommes du Morne-Rouge qui entendirent ses gémissements. Longtemps présenté comme l’unique survivant de la catastrophe, il bénéficia un temps d’une certaine célébrité, au point d’être engagé par le cirque américain Barnum and Bailey’s pour exhiber les cicatrices de ses brûlures, tel un monstre de foire…

À partir de ces éléments, la romancière Raphaële Frier recrée tout un monde, celui de la Martinique à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, c’est-à-dire un monde toujours régi, malgré son abolition, par les lois de l’esclavage. À Cyparis, elle redonne une histoire, de sa naissance à sa mort dans le dénuement, à Panama, en 1929. Et si elle s’attache à raconter les affres de sa vie d’orphelin – Cyparis devient pendant un temps le jouet vivant des enfants d’un riche propriétaire, Degal – et sa révolte, l’auteure l’entoure d’une multitude d’autres personnages, souvent attachants, parfois écœurants, mais toujours terriblement humains. Parmi eux, Pascaline, surnommée Ti Fol parce qu’elle est habitée par les esprits des morts et, surtout, parce qu’elle communique directement avec la montagne Pelée.

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Réalisme magique, poésie et crudité

« Quelques jours avant l’éruption de la montagne Pelée, malgré les recommandations des autorités, quelques habitants de Saint-Pierre décidèrent de prendre la route et de fuir, écrit Raphaële Frier dans une courte postface. L’arrière-grand-mère de mes enfants en faisait partie, ainsi que sa sœur, que j’ai rencontrée en 1988 à Fond Lahayé. Elle avait autour de cent ans, et tout le monde l’appelait Man Pac. Moi, je l’ai surnommée Ti Fol. »

Louis-Auguste Cyparis, le 8 mai 1902. © ABACA

Louis-Auguste Cyparis, le 8 mai 1902. © ABACA

Empreint de réalisme magique, porté par une écriture à la fois poétique et crue, Ti Fol, fille du volcan fait la part belle aux femmes. Souvent lâches et veules, violents et portés sur l’alcool, toujours sûrs de leur fait, les hommes n’écoutent que leurs certitudes, sourds aux paroles des autres – surtout s’ils sont noir, ou femme, ou enfant –, sourds aux avertissements de la nature. Pour la plupart plus connectés à la terre, plus sensibles, plus attentifs, les personnages féminins qui entourent Cyparis et Ti Fol portent à l’inverse les espoirs d’une humanité capable d’empathie.

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« C’est vrai que les hommes prennent cher, à commencer par Degal, son fils Victor, Florentin, Bailey du cirque Barnum… reconnaît l’auteure. Mais sinon, tous les hommes du roman ne sont pas à blâmer. Cyparis tourne mal, mais c’est un chouette garçon que la vie a malmené. Justin aussi, d’ailleurs, même si la dureté de la vie l’entraîne sur la mauvaise pente. Le père de Ti fol est un vrai père, et le prêtre un homme bon et plutôt libre (même s’il est curé). À part quelques religieuses, Mme Degal et sa fille Clémence, les personnages très positifs sont féminins, c’est vrai : Ti fol, la Tignasse, Man Jojotte, Man Dine, Leonora… »

Avertissement

À Lazare, son père, Ti Fol demande de ne pas aller travailler à l’usine Guérin, le matin du 5 mai. Il ne l’écoute pas. Dans la journée, une coulée torrentielle composée de cendre et de pierres volcanique, un lahar, sort du lit de la Rivière Blanche et ensevelit l’usine sous six mètres de boue, tuant vingt-trois travailleurs. « Lazare est dans le déni, en fait, explique Raphaële Frier. Ne pas écouter Ti fol pour ne pas admettre la gravité de la situation. C’est idiot, mais humain… Il est beaucoup moins fort que sa fille. »

Fiction élaborée racontée dans un français mâtiné de créole par une auteure qui connaît manifestement l’île – ses habitants, sa faune, sa flore – Ti Fol, fille du volcan est à la fois un roman passionnant, une biographie de Cyparis comme il n’en existe pas, un documentaire sur une éruption annoncée de longue date – les premiers signes, visibles en 1889, s’intensifient dès février 1902 – mais que les autorités ignorent en raison, notamment, des élections législatives prévues pour le 11 mai 1902, une réflexion sur le racisme, le marronage et la liberté… C’est aussi un avertissement : aujourd’hui comme en 1902, la Terre nous parle et nous ferions bien d’écouter ceux qui sont capables de l’entendre.

 © Éditions l’école des loisirs

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*Ti Fol, fille du volcan, de Raphaële Frier, l’école des loisirs, 306 pages, 15 euros.

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