AES-Cedeao : vivre ou mourir ensemble

À rebours de ce que soutiennent les radicaux de tous bords, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest et l’Alliance des États du Sahel ont destin lié. Les deux organisations ont besoin l’une de l’autre. Leur coexistence pacifique et intelligente pourrait servir autant la sécurité et la stabilité que l’intégration régionales, affirme le journaliste et universitaire spécialiste du Sahel Seidik Abba.

De gauche à droite : les chefs d’État du Mali, Assimi Goïta, du Niger, le général Abdourahamane Tiani, et du Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, lors du premier sommet de l’Alliance des États du Sahel (AES), à Niamey, au Niger, le 6 juillet 2024. © REUTERS/Mahamadou Hamidou

De gauche à droite : les chefs d’État du Mali, Assimi Goïta, du Niger, le général Abdourahamane Tiani, et du Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, lors du premier sommet de l’Alliance des États du Sahel (AES), à Niamey, au Niger, le 6 juillet 2024. © REUTERS/Mahamadou Hamidou

Seidik Abba © DR
  • Seidik Abba

    Journaliste, écrivain et universitaire, président du Centre international de réflexions et d’études sur le Sahel (Cires, think tank basé à Paris).

Publié le 24 octobre 2024 Lecture : 4 minutes.

Le Sahel n’a pas seulement perdu la stabilité et la paix dont il fut naguère un vrai havre. Il a aussi perdu la possibilité que l’on puisse débattre en toute sérénité et avec nuance des configurations géopolitiques et géostratégiques qui s’y déploient. N’ont désormais pignon sur rue que ceux qui défendent l’Alliance des États du Sahel (AES) et sont contre la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), ou ceux qui soutiennent cette dernière et sont contre la première.

Besoins croisés

La posture manichéenne ainsi déclinée ne correspond ni à la réalité du terrain ni au pragmatisme indispensable dans la conduite des affaires publiques. Pris isolément, chacun des trois pays de l’AES a immanquablement besoin de ses partenaires restés dans la Cedeao. Outre les enchevêtrements familiaux, le Niger partage près de 1 500 km de frontière avec le Nigeria ; cinq régions administratives sur les huit que compte le pays sont limitrophes du Nigeria (exception faite d’Agadez, Niamey et Tillabéry). Le Nigeria reste le premier partenaire économique du Niger. On pourrait dresser le même tableau pour les relations étroites entre le Mali et ses voisins ivoirien et sénégalais.

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Environ 90 % des importations/exportations du Mali passent par les ports d’Abidjan et de Dakar. La Côte d’Ivoire accueille la plus grande diaspora malienne dans le monde (environ 4 millions de personnes). Enfin, les relations du Burkina Faso sont, elles aussi, plus fortes avec ses voisins restés dans la Cedeao qu’avec ses deux partenaires de l’AES. Pays de l’hinterland, le Burkina Faso doit importer ou exporter via la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Ghana ou le Togo. Entre cinq et six millions de Burkinabè vivent sur le sol ivoirien. Derrière les grands discours de rupture se cachent ainsi des réalités plus fortes que des postures et des liens devenus irréversibles.

Défi sécuritaire

Et pourtant, c’est surtout face au défi sécuritaire que les 12 États restés dans la Cedeao et les trois partis pour créer, en septembre 2023, l’AES – devenue, en juillet 2024 à Niamey, Confédération de l’AES – ont un destin inséparable. Même en faisant crédit au nouvel engagement de la Cedeao d’assumer désormais le leadership de la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest, on ne voit pas comment elle pourrait y parvenir sans les États de l’AES, épicentre de la menace dans la sous-région. Nul besoin d’être expert pour être sûr qu’il sera impossible de lutter contre les groupes jihadistes au Bénin, en Côte d’Ivoire et au Togo (États du golfe de Guinée) sans associer le Burkina Faso, le Mali et le Niger.

Les mêmes arguments peuvent être convoqués pour montrer les limites de la stratégie antiterroriste de l’AES, si elle n’associait pas les pays du golfe de Guinée. Il faut mettre au crédit de l’AES d’avoir poussé à un niveau inédit dans la sous-région la volonté de construire une réponse sécuritaire commune face à la menace jihadiste, bien au-delà ce que fut le G5 Sahel. Pour la première fois, les armées du Niger, du Burkina Faso et du Mali ont organisé, en mai 2024 à Tahoua, au nord-ouest du Niger, des manœuvres militaires de très grande ampleur, auxquelles ont pris part le Tchad et le Togo en tant que pays invités.

Depuis peu, les trois pays de l’AES échangent les officiers de liaison afin de mieux coordonner des opérations communes contre les groupes terroristes. Les trois pays ont également fait des progrès notables dans le partage de renseignements et la mutualisation des moyens aériens d’attaque et de transport (drones, hélicoptères, avions de transport des troupes). Mais tout cela ne suffira pas pour inverser le rapport de force avec les groupes jihadistes, si l’AES ne travaille pas avec la Cedeao à la construction d’une réponse régionale, associant Sahel et golfe de Guinée face au défi sécuritaire devenu clairement sous-régional.

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Sagesse togolaise

Loin des positions tranchées et maximalistes, il existe, par bonheur, des partisans d’une relation apaisée, voire d’un partenariat, entre la Cedeao et l’AES. Le Togo avait choisi cette voie dès le début de la crise entre la Cedeao et les pays sahéliens qui ont connu des coups d’État militaires. Après le départ de Macky Sall du pouvoir et l’arrivée de Diomaye Faye, le Sénégal est venu en renfort du camp des partisans de la non-rupture brutale entre Cedeao et AES. À supposer même qu’au terme du délai de rétractation d’une année, les trois États de l’AES décident, en janvier 2025, de ne plus jamais réintégrer la Cedeao, la sagesse et les intérêts de la sous-région commandent que des passerelles soient posées entre les deux organisations.

Comme ont pu exister la Cedeao et le G5 Sahel, l’AES et la Cedeao peuvent exister côte à côte. En progressant dans la construction d’une architecture de défense et de sécurité commune, l’AES pourrait même apporter cette dimension régalienne qui a tant manqué dans le leadership régional de la Cedeao, ce qui lui vaut des critiques légitimes d’une partie de l’opinion sahélienne. Personne n’a à gagner d’une confrontation fratricide, sauf, sans doute, ceux qui en ont fait un fonds de commerce, un business lucratif.

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Habitués depuis très longtemps aux dividendes de la libre circulation des personnes et des biens, les peuples du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, si mélangés par l’histoire, la famille et la religion,  ne suivront pas quelque projet de séparation que ce soit dans la confrontation entre l’AES et la Cedeao. Les deux survivront ou mourront ensemble.

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