La victoire de Trump vue par les dirigeants africains : félicitations et realpolitik
De Mohammed VI à Félix Tshisekedi, en passant par Bola Tinubu ou encore Umaro Sissoco Embalo, plusieurs dizaines de chefs d’État africains ont salué la victoire de Donald Trump. Des réactions souvent dictées par un pragmatisme parfois teinté de craintes des conséquences du retour du milliardaire à la tête des États-Unis.
La victoire de Donald Trump sonne-t-elle le retour de l’époque de la guerre froide pour l’Afrique ? « Washington va à nouveau voir l’Afrique à travers le prisme géopolitique – comme on l’a vu pendant la guerre froide, puis en 2017-2019 sous Trump, mais cette fois avec la Chine comme ennemi, au lieu de la Russie », prophétise l’économiste britannique Charlie Robertson.
Si le peu d’intérêt, voire le mépris, du milliardaire américain à l’égard du continent pendant son premier mandat est de notoriété publique, il s’agit, pour les chefs d’État du continent, d’appliquer à la lettre les principes de la realpolitik. Il est urgent de ne pas se fâcher avec un président américain aussi revanchard vis-à-vis de l’administration Biden-Harris que potentiellement imprévisible sur la scène internationale.
« Vives félicitations au président élu Donald Trump pour sa victoire à l’élection présidentielle américaine […]. Que ce nouveau mandat soit porteur de paix et progrès ! » Le président bissau-guinéen Umaro Sissoco Embalo aura été l’un des premiers dirigeants du continent à se fendre d’un court message saluant la victoire du milliardaire américain, et c’est sur le réseau social X (ex-Twitter), dont Elon Musk a fait un outil au service de la campagne de Donald Trump, qu’il a choisi de le faire.
Autre dirigeant ouest africain à avoir apporté sa voix au concert des félicitations : Alassane Ouattara. Le président ivoirien a notamment dit se réjouir de « poursuivre, avec lui, le raffermissement des liens historiques d’amitié et de coopération ainsi que le partenariat stratégique » entre Abidjan et Washington. Le Tchadien Mahamat Idriss Déby Itno a également souhaité un « plein succès » au président élu, tandis que le Sénégalais Bassirou Diomaye Faye a plaidé pour « œuvrer ensemble pour la paix, la prospérité et le respect des valeurs que nous avons en partage ».
RDC-Rwanda : quelles conséquences ?
Félix Tshisekedi a également adressé à Trump ses « vives félicitations » pour sa « belle victoire », affirmant « être prêt à collaborer avec le nouveau président américain élu et à approfondir le partenariat stratégique entre la RDC et les États-Unis, qui entretiennent déjà de bonnes relations amicales et de coopération ».
Le come-back de Trump risque-t-il d’avoir des conséquences sur les accords qui lient les deux pays ? L’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche avait notamment été suivie d’une coopération représentant un montant de 1,6 milliard de dollars sur cinq ans, en novembre 2021. Une somme destinée à financer des projets allant de l’éducation à la protection de la biodiversité, en passant par la lutte contre l’insécurité dans l’est du pays.
Un conflit dans lequel l’administration Biden a également eu à intervenir : Washington soutenant jusqu’à présent avant tout une résolution politique, via le processus de Luanda, plutôt que l’option d’un règlement militaire de la crise. L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche va-t-elle changer la donne, alors que le M23, soutenu par le Rwanda, progresse chaque semaine un peu plus dans sa conquête de territoire dans les provinces de l’Est ?
Le président rwandais Paul Kagame, qui a également salué la victoire « historique et décisive » de Donald Trump, n’en a pas moins, en creux, prévenu qu’il n’accepterait pas d’ingérence. »Votre message clair a été que les États-Unis devraient être un partenaire de choix qui attire par la force de son exemple, plutôt que par l’imposition de ses vues et de son mode de vie aux autres », a-t-il insisté.
Dans les mois qui ont suivi l’élection de Félix Tshisekedi pour son premier mandat, lors de la présidentielle de décembre 2018, dont les résultats avaient été contestés par une partie de la classe politique et de la société civile, le président congolais avait obtenu un soutien appuyé de la part de la première administration Trump. En avril 2019, tout fraîchement élu, Félix Tshisekedi avait d’ailleurs choisi les États-Unis pour faire l’une de ses premières visites officielles à l’étranger.
Donald Trump n’avait cependant, à cette occasion, pas trouvé le temps de recevoir son homologue congolais : Félix Tshisekedi avait dû se contenter d’un tête-à-tête avec le secrétaire d’État américain de l’époque, Mike Pompeo. Un traitement qui avait provoqué de nombreuses réactions, à Kinshasa. « Je ne suis pas venu aux États-Unis spécialement pour rencontrer Donald Trump », avait alors répondu Félix Tshisekedi à ceux qui considéraient que l’impolitesse protocolaire de l’Américain relevait d’une forme d’humiliation.
Les deux hommes s’étaient finalement rencontrés quelques mois plus tard, fin septembre 2019, à l’occasion d’un dîner organisé par Donald Trump en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, à New York. Deux ans plus tôt, en 2017, c’est lors d’un dîner similaire, devant un parterre de chefs d’État africains parmi lesquels le Sénégalais Macky Sall, l’Ivoirien Alassane Ouattara, l’Ougandais Yoweri Museveni ou encore le Guinéen Alpha Condé, que Donald Trump avait montré toute l’étendue de son intérêt pour le continent en « félicitant », pour ses réussites dans le domaine de la santé, le « Nambia »…
Une méconnaissance profonde de la géographie africaine qu’il avait agrémentée, ce jour-là, d’une analyse économique de haute volée : « L’Afrique a un potentiel commercial énorme. J’ai plein d’amis qui vont dans vos pays pour devenir riches. Je vous félicite : ils dépensent beaucoup d’argent », avait notamment déclaré le président américain dans un mélange de paternalisme et d’arrogance bonhomme devant ses homologues africains pour le moins surpris.
Tinubu, Mnangagwa, Ramaphosa…
Le retour à la Maison-Blanche de l’auteur de la saillie sur les « shit holes countries » a aussi été salué par le président nigérian Bola Tinubu, qui a exprimé dans un communiqué ses « sincères » félicitations à Donald Trump, plaidant pour un renforcement des liens entre les deux pays « face aux défis et opportunités du monde contemporain ». Et Tinubu d’ajouter : « Ensemble, nous pouvons favoriser la coopération économique, promouvoir la paix et relever les défis mondiaux qui affectent nos citoyens. »
Un vœu pieu également formulé, dans des termes assez proches, par le Zimbabwéen Emmerson Mnangagwa, qui a félicité Trump et affirmé que « le monde a besoin de plus de dirigeants qui parlent au nom du peuple. » Le président kényan a pour sa part salué une « victoire [qui] témoigne de la ferme détermination du peuple américain à faire confiance [au] leadership visionnaire, audacieux et innovant [de Donald Trump] ». « Le Kenya est prêt à renforcer notre coopération sur des questions d’intérêt mutuel, notamment le commerce, l’investissement, la technologie et l’innovation, la paix et la sécurité, ainsi que le développement durable », a listé le dirigeant kényan.
Parmi les grandes puissances africaines, le Nigeria et l’Afrique du Sud ont également félicité Trump pour sa victoire. Le président sud-africain Cyril Ramaphosa a ainsi dit espérer « continuer le partenariat étroit et mutuellement bénéfique entre nos deux nations dans tous les domaines de coopération ». Il a également ajouté que l’Afrique du Sud « attend avec impatience » sa présidence du G20, prévue en 2025, lors de laquelle Pretoria travaillera étroitement avec Washington, les États-Unis prenant la présidence en 2026.
Cyril Ramaphosa, qui veut prendre le leadership du « Sud global » dans le combat pour la défense de la cause palestinienne, notamment via son offensive devant la Cour internationale de Justice (CIJ) devant laquelle l’Afrique du Sud a déposé une plainte contre Israël pour « génocide », doit sans doute craindre les conséquences du retour au pouvoir de Donald Trump, indéfectible allié de la frange la plus dure de la classe politique israélienne. Un Trump qui, par ailleurs, n’avait pas hésité, dans un tweet aux relents racistes et complotistes, à dénoncer, en 2018, « les meurtres de grande ampleur » de fermiers blancs.
Crise dans la Corne de l’Afrique
Les réactions sont aussi venues depuis la Corne de l’Afrique. Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a été parmi les premiers présidents africains à féliciter Trump pour sa victoire. Et pour cause : l’ancien envoyé de Donald Trump pour la Corne de l’Afrique, John Peter Pham, a affirmé que l’accès à une côte était « existentiel » pour l’Éthiopie. Or, début 2024, Addis-Abeba a annoncé la signature d’un protocole d’accord avec le Somaliland pour construire et exploiter des installations portuaires. Une annonce qui avait suscité la colère de la Somalie.
Le président somalien Hassan Sheikh Mohamud n’en a pas moins adressé ses félicitations à Trump, affirmant à son tour ses espoirs d’une collaboration forte pour « promouvoir la paix, la sécurité et la prospérité commune de nos deux nations ».
Pour sa part, le Djiboutien Ismaïl Omar Guelleh a souhaité « plein succès » au président élu des États-Unis, qui entretiennent une « relation privilégiée » et de « multiples partenariats stratégiques » avec son pays. L’armée américaine y dispose notamment de son unique base militaire en Afrique.
De même au Soudan, où les deux généraux qui se livrent une guerre aussi brutale que meurtrière pour les civils, Abdel Fattah al-Burhane et Mohamed Hamdan Daglo – dit « Hemetti » –, ont tous deux pris soin de saluer la réélection du nouveau locataire de la Maison-Blanche.
En Afrique du Nord, Abdelmadjid Tebboune, le président algérien, n’avait pas réagi à l’heure où nous écrivions ces lignes. À l’inverse, le roi du Maroc, Mohammed VI, a joint sa voix à celles des dirigeants saluant la victoire de Donald Trump, à qui il a adressé « ses vœux de plein succès dans ses hautes fonctions et dans ses efforts au service du peuple américain », selon le texte diffusé par l’agence officielle MAP. Les deux pays sont « unis par une alliance historique et un partenariat stratégique qui ont résisté à l’épreuve du temps », a ajouté le souverain marocain, assurant que ces liens étaient « une force motrice au service de la paix, de la sécurité et de la prospérité au Moyen-Orient, en Afrique et au-delà ».
Mohammed VI n’a pas manqué de rappeler que, dans les derniers jours du précédent mandat de Donald Trump, les États-Unis avaient « reconnu la pleine et entière souveraineté du Royaume du Maroc sur l’ensemble de son Sahara », Mohammed VI saluant « un acte mémorable dont le peuple marocain sera à jamais reconnaissant ». Joe Biden n’avait, à son arrivée au pouvoir, pas remis en cause cette décision de Donald Trump.
Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, lui a pour sa part souhaité « beaucoup de succès » et affirmé avoir « hâte de parvenir ensemble à la paix, à la stabilité régionale ». « L’Égypte et les États-Unis ont toujours constitué un modèle de coopération et ont réussi ensemble à réaliser les intérêts communs des deux pays amis, et nous espérons poursuivre cela dans les circonstances critiques que traverse le monde », a ajouté le chef de l’État égyptien qui entretenait des relations plus que glaciales avec l’administration Biden.
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