Afrique du Sud : Capitec frappe à la porte du Big Four
Avec ses prêts sans garantie, la banque sud-africaine Capitec cible les populations défavorisées. Une stratégie risquée mais payante : elle est aujourd’hui au coude à coude avec Nedbank.
Durant l’apartheid, les banques qui forment le Big Four d’aujourd’hui – Standard Bank, First National Bank (FNB), Absa et Nedbank – ne prêtaient pas à ceux qui ne pouvaient apporter de caution. Pour accéder au crédit, les Noirs sud-africains n’avaient donc d’autre solution que d’emprunter à des taux prohibitifs auprès de commerçants. Depuis les années 1990, ces verrous ont sauté, et plusieurs établissements ont commencé à bousculer les pratiques héritées de cette période en proposant des prêts sans garantie aux populations les plus démunies – à des taux toujours élevés, entre 18,7 % et 31 % selon la durée du prêt et le profil de risque du client. Hautement lucrative, cette activité a indéniablement participé à bancariser les townships et les zones rurales.
La banque de détail la moins chère d’Afrique du Sud
Capitec Bank et African Bank (filiale du holding African Bank Investments Limited, plus connu sous son acronyme Abil) sont les deux chefs de file de ce marché. Mais alors qu’Abil traverse une période mouvementée – le groupe a vu son cours de Bourse divisé par deux depuis le début de l’année -, Capitec a surpris les investisseurs en annonçant, début septembre, des résultats en hausse de 22 % pour le premier semestre de son exercice 2013.
À la mi-septembre, l’action gagnait 5,6 % depuis le début de l’année au Johannesburg Stock Exchange (JSE), soit la deuxième meilleure performance des valeurs bancaires de la Place. Avec environ 10 % de parts de marché – il compte 4,7 millions de clients, dont 1,2 million ont contracté des prêts -, l’établissement est aujourd’hui au coude à coude avec Nedbank, le plus petit des « big four ».
Loin des centres-villes
Basé dans la province du Cap-Occidental, à Stellenbosch, Capitec est né à la fin des années 1990. « L’un des secrets de sa réussite repose sur sa diversification : en plus de proposer des prêts sans garantie, il s’est lancé avec succès dans la banque de détail [qui s’adresse aux particuliers et aux PME], dont il tire aujourd’hui une part importante de ses revenus », explique Adrian Cloete, analyste chez Cadiz Asset Management, une société basée au Cap.
Autre atout : son modèle d’évaluation des risques clients, salué par l’agence de notation Moody’s dans un récent rapport sur le secteur bancaire sud-africain. La politique de provision du risque de la banque est par ailleurs beaucoup plus prudente que celle de ses concurrentes. « Le total de ses provisions représente 130 % des prêts accordés, alors que le taux moyen observé dans les établissements sud-africains varie entre 60 % et 100 % », note Adrian Cloete.
Lire aussi :
Dossier Finance : Les groupes sud-africains à l’assaut du continent
Pourquoi investir dans le secteur bancaire au sud du Sahara
Le mobile banking au service de l’inclusion financière
L’implantation géographique de Capitec est une autre raison de son succès. Johann Scholtz, directeur de la recherche chez Afrifocus Securities, une société d’analyse financière, explique que « la banque a su tenir compte de l’héritage de l’apartheid en ouvrant des agences près des hubs de transports publics, car la plupart de ses clients potentiels habitent très loin des centres-villes ».
Risques de surchauffe
Résultat, le site sud-africain de services financiers ThinkMoney rapportait en juillet que Capitec était l’établissement le plus apprécié des consommateurs du pays. Une caractéristique qui n’est sans doute pas étrangère à son modèle à bas coût. Dans son rapport annuel sur le prix des services bancaires, le Solidarity Research Institute souligne qu’elle reste la banque de détail la moins chère du pays.
Mais les analystes pointent le risque évident qui pèse sur ce modèle : l’augmentation incontrôlée des créances douteuses. Capitec n’est en effet pas à l’abri des remous qui ont mis à mal son homologue Abil car, si ses revenus sont protégés par la diversification de ses métiers, ses profits découlent avant tout de son activité de crédit.
Créances douteuses : Capitec n’est pas à l’abri
Or le secteur dans son ensemble est menacé de surchauffe. L’agence Moody’s a récemment signalé que les prêts sans garantie en Afrique du Sud ont augmenté de 30 % par an depuis 2007, date de promulgation du National Credit Act (qui vise à rendre les services bancaires plus accessibles), alors que l’ensemble des crédits à la consommation ne progressait que de 6 % par an.
Sur les six dernières années, leur volume a quadruplé pour atteindre 164,6 milliards de rands (12,6 milliards d’euros). Le risque est d’autant plus grand que l’économie sud-africaine connaît actuellement une certaine morosité. Capitec a d’ailleurs prévenu en juillet que la croissance des prêts était au point mort car la montée du chômage et de l’inflation, couplée à la hausse des coûts du carburant et de l’électricité, pesait sur l’épargne disponible des consommateurs.
Sortir des frontières
Mais dans le même temps, la banque rassure et indique que ses créances douteuses ne représentent pas plus de 5,8 % de son portefeuille. Elle est en effet bien notée par Moody’s qui a maintenu son évaluation à Baa3, tout en rétrogradant sa perspective d’évolution de « positive » à « stable ». L’agence souligne notamment la « solidité de son capital » et de sa rentabilité. Par ailleurs, pour faire face à la mauvaise performance du marché national, Capitec a annoncé son intention de sortir de ses frontières : selon André du Plessis, son directeur financier, elle pourrait bien se lancer sur le reste du continent, même si elle entend d’abord privilégier les marchés émergents d’Europe de l’Est et d’Amérique latine.
L'éco du jour.
Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Économie & Entreprises
- La Côte d’Ivoire, plus gros importateur de vin d’Afrique et cible des producteurs ...
- Au Maroc, l’UM6P se voit déjà en MIT
- Aérien : pourquoi se déplacer en Afrique coûte-t-il si cher ?
- Côte d’Ivoire : pour booster ses réseaux de transports, Abidjan a un plan
- La stratégie de Teyliom pour redessiner Abidjan