Qui est vraiment le Premier ministre Oumar Tatam Ly ?
Venu de la BCEAO, le chef du gouvernement malien Oumar Tatam Ly n’a encore jamais exercé de responsabilités nationales. Un homme neuf, surtout attendu dans le rôle de chef d’orchestre et sur le terrain économique.
Il y avait dans la déclaration d’Oumar Tatam Ly, le 6 septembre, comme une volonté de rassurer ceux qui pouvaient encore douter de sa capacité à diriger le gouvernement malien. « Je suis prêt à relever les défis et les missions qui m’ont été assignés par le président de la République », a-t-il lancé à la presse en prenant ses fonctions. Dans un pays fragilisé par dix-huit mois d’une crise politico-militaire dévastatrice, c’était sans doute nécessaire. Car s’il est le principal concepteur du programme économique d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), le jeune Premier ministre (il aura 50 ans en novembre) n’a aucune expérience gouvernementale et n’avait jamais participé directement à la gestion des affaires du pays, hormis pendant deux ans comme conseiller économique du président Alpha Oumar Konaré.
Profil
• Né le 28 novembre 1963
• Formé en France, en histoire et en économie
• Chargé de mission à la présidence, puis conseiller et responsable du bureau d’analyse et de prospective entre 1992 et 1994, pendant le mandat d’Alpha Oumar Konaré
• Entré à la BCEAO en 1994, il y a gravi les échelons, devenant directeur pour le Mali (à la fin de 2008), basé à Bamako, puis conseiller spécial du gouverneur (en juillet 2012)
Premier de la classe
Mais à Bamako, c’est justement ce qui semble plaire. « Sa nomination marque une rupture, nous avions besoin de cela au Mali. Il fallait envoyer un signal positif à la population, au monde des affaires et aux partenaires internationaux », juge le patron d’un groupe agroalimentaire local. Et sur le papier, « Thierno », comme l’appellent ses proches, a un profil convaincant. Bardé de diplômes acquis en France, il est agrégé d’histoire (à la Sorbonne) et issu de la prestigieuse École supérieure des sciences économiques et commerciales (Essec). Ses interlocuteurs s’accordent à le qualifier de brillant. Surtout, ce « premier de la classe » est réputé grand travailleur, rigoureux, orthodoxe… La liste des superlatifs est longue.
À la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) où il était, avant sa nomination, conseiller spécial du gouverneur Tiémoko Meyliet Koné, ses anciens collaborateurs lui reconnaissent aussi des talents de coordination et une bonne capacité à mener plusieurs actions de front. « Il était très discret dans les réunions des ministres des Finances, mais on a remarqué que le gouverneur s’appuyait beaucoup sur lui », se souvient un ex-ministre malien de la transition. D’après l’un de ses anciens collègues, « il est en quelque sorte le père de « l’agence titre », une structure régionale que s’apprête à lancer la Banque centrale et dont la mission principale est d’aider les États membres de l’UEMOA [Union économique et monétaire ouest-africaine] à lever, individuellement ou collectivement, des fonds sur les marchés financiers et à mieux gérer leur dette souveraine ». De source interne, ce Peul a aussi été aux avant-postes lors de négociations ardues entre la BCEAO et la Banque de France, qui garantit la convertibilité du franc CFA.
Timide
Mais pour ce qui est de la rencontre de ce grand timide avec le nouveau président malien, l’histoire remonte à la campagne électorale qui a porté Alpha Oumar Konaré au pouvoir en 1992. La mère d’Oumar Tatam Ly, Madina Tall, était directrice de campagne et avait IBK pour adjoint. Depuis, les deux hommes sont restés proches.
Car le Premier ministre a beau être un homme neuf, il est très connecté. Son père, Ibrahima Ly, est un écrivain et homme politique très connu. Et Oumar Tatam Ly, qui a deux filles d’une précédente union, a récemment convolé en justes noces (la cérémonie religieuse a eu lieu le 15 septembre) avec la fille de Younoussi Touré, président par intérim de l’Assemblée nationale et président de l’Union pour la République et la démocratie (URD, le parti de Soumaïla Cissé, adversaire malheureux d’IBK au second tour de la présidentielle).
Mais lui-même n’est guère politique – c’est en tout cas ce qu’assure son entourage. Au sein du gouvernement, d’autres ténors seront davantage sur ce terrain, autour des questions de la réconciliation nationale et de la refondation de l’armée. « Ce qu’on attend de lui, c’est surtout qu’il fasse faire et coordonne toutes les actions, qu’il soit le chef d’orchestre », explique un proche. Le Premier ministre, dont les anciens collaborateurs disent qu’il peut être très dur dans ses relations professionnelles, devra apprendre à composer avec les personnalités de son équipe.
À la Banque centrale régionale, « il était très discret, mais le gouverneur s’appuyait beaucoup sur lui ».
C’est surtout sur les questions économiques que cet ancien cadre de la Banque mondiale est attendu. Et dans ce domaine, les chantiers ne manquent pas. Troisième producteur d’or du continent, le Mali a connu la récession (- 1,2 %) en 2012, après avoir enregistré un taux de croissance annuel moyen de 4,8 % entre 2005 et 2011 selon le Fonds monétaire international. Si les prévisions tablent sur un retour dès cette année à des taux comparables à ceux d’avant la crise, rien n’est pour autant gagné.
« La transition n’a pas réglé les problèmes, elle n’a fait que les contourner. Les questions de l’énergie et des transports restent entières, comme tous les chantiers sociaux, et Oumar Tatam Ly va y être très rapidement confronté », soutient notre ancien ministre. « Il y a aussi les problèmes de gouvernance, auxquels il faut trouver des solutions. Cela va de la corruption au sein de l’armée aux procédures d’attribution des marchés publics », ajoute un autre chef d’entreprise bamakois. Oumar Tatam Ly saura-t-il relever ces défis ? « Tout dépend des personnes dont il s’entoure. Car ce n’est pas lui qui dirige directement les départements ministériels ni qui attribue les marchés », estime pour sa part l’homme d’affaires Houd Baby, patron des Moulins du Sahel.
Donateurs
Pour renflouer les caisses de l’État et redresser le pays, le nouveau Premier ministre doit recevoir plus de 3 milliards d’euros des partenaires internationaux du Mali (Union européenne, Banque mondiale, France, États-Unis, etc.). Mais là encore, il va devoir relancer les négociations pour que les engagements pris lors de la conférence des donateurs de Bruxelles se transforment en actes. Puis veiller à une gestion efficiente de cette manne…
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