Ce que la victoire de Trump va changer pour l’Afrique

La victoire écrasante de Donald Trump promet un changement radical de la politique étrangère américaine, en particulier sur le plan économique. L’Afrique doit-elle s’en inquiéter ? L’économiste Sophronie Koboude identifie trois scenarios possibles.

Donald Trump, lors d’un meeting de campagne dans le Michigan, le 5 novembre 2024. © Photo by KAMIL KRZACZYNSKI / AFP

Donald Trump, lors d’un meeting de campagne dans le Michigan, le 5 novembre 2024. © Photo by KAMIL KRZACZYNSKI / AFP

Sophonie Koboude
  • Sophonie Koboude

    Essayiste, expert spécialiste des économies africaines au sein du cabinet InterGlobe Conseils.

Publié le 7 novembre 2024 Lecture : 4 minutes.

Donald Trump n’a pas présenté de programme spécifique concernant l’Afrique lors de la campagne. ​​Toutefois, en se basant sur ses déclarations et les orientations de son précédent mandat, plusieurs axes peuvent être anticipés.

Premier scénario

Une « régionalisation de la mondialisation » qui favoriserait les échanges intra-africains. Sous une présidence Trump, la priorité donnée aux intérêts américains devrait accentuer la démondialisation. Les États-Unis pourraient réduire leur engagement dans les accords commerciaux multilatéraux et concentrer leurs échanges sur des partenariats bilatéraux favorables, réduisant ainsi leurs interactions avec l’Afrique dans des secteurs clés.

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Donald Trump a exprimé son intention d’augmenter les droits de douane sur les produits importés afin de favoriser l’industrie américaine.​​ ​​Cette approche protectionniste pourrait affecter les exportations africaines vers les États-Unis, notamment dans le cadre de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), un programme commercial offrant des avantages aux pays africains sur le marché américain.​​ ​

Sous une présidence Trump, la priorité donnée aux intérêts américains devrait accentuer la démondialisation.

Certains analystes estiment que Trump pourrait remettre en question ou modifier l’AGOA, ce qui aurait des répercussions sur les économies africaines dépendantes de ce programme.​​ En 2020, les échanges commerciaux ont été estimés à environ 39 milliards de dollars, incluant les exportations américaines vers l’Afrique et les importations d’Afrique vers les États-Unis.

Cette situation de démondialisation pourrait donc, paradoxalement, être bénéfique pour l’Afrique, incitant le continent à renforcer son marché intérieur et les échanges intra-africains. Avec la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), l’Afrique a une opportunité unique de combler ce vide potentiel laissé par les États-Unis.

En encourageant une production locale et des échanges régionaux accrus, l’Afrique pourrait s’affranchir de certaines dépendances vis-à-vis de l’Occident et s’ancrer davantage dans une logique de régionalisation économique. Ce scénario repose également sur l’idée que l’Afrique pourrait devenir un modèle d’intégration régionale, capitalisant sur la Zlecaf pour créer un véritable marché commun africain.

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Deuxième scénario

Une guerre économique intense entre les États-Unis et la Chine qui offrirait des opportunités aux pays africains. L’intensification de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, comme le propose Donald Trump, pourrait avoir des répercussions considérables sur l’Afrique.

Avec une rivalité accrue, les États-Unis pourraient chercher à renforcer leurs investissements en Afrique pour contrer l’influence chinoise. Mais, cela semble improbable tant le logiciel trumpien est plutôt isolationniste. ​​Les tensions accrues entre les deux superpuissances pourraient pousser la Chine à renforcer ses relations commerciales avec l’Afrique pour compenser la diminution des échanges avec les États-Unis.​​

Avec une rivalité accrue, les États-Unis pourraient chercher à renforcer leurs investissements en Afrique pour contrer l’influence chinoise.

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​​Cette dynamique offrirait aux pays africains des opportunités d’augmenter leurs exportations vers la Chine, notamment dans les secteurs des matières premières et des produits agricoles.​​ ​​Par ailleurs, pour contourner les tarifs douaniers américains, certaines entreprises chinoises pourraient envisager de délocaliser leurs unités de production en Afrique.​​ ​​Cette stratégie offrirait aux pays africains des opportunités en termes de création d’emplois et de transfert de technologies.​​

En revanche, l’Afrique, en tant que fournisseur majeur de matières premières, pourrait être affectée par les fluctuations des prix résultant des tensions commerciales.​​ ​​Une baisse de la demande mondiale, due à une contraction économique provoquée par la guerre commerciale, pourrait entraîner une diminution des revenus pour les pays exportateurs africains.​​ L’incertitude économique mondiale pourrait également freiner les investissements, affectant ainsi les projets de développement sur le continent.

Troisième scénario

Une diplomatie culturelle et militaro-idéologique en recomposition obligeant l’Afrique à choisir. L’élection de Donald Trump pourrait entraîner une recomposition des alliances culturelles et idéologiques. Le paradigme hassnerien [du nom de Pierre Hassner, philosophe et géopolitologue franco-roumain, NDLR] souligne un monde de plus en plus fragmenté en blocs civilisationnels.

Dans ce cadre, l’Afrique pourrait être confrontée à un choix stratégique : s’aligner avec des blocs partageant des valeurs similaires ou renforcer ses propres paradigmes culturels. Cela pourrait signifier un rapprochement avec des pays des BRICS, comme la Chine et la Russie, qui offrent des alternatives aux modèles occidentaux. Ces pays partagent des défis similaires et pourraient offrir des partenariats stratégiques basés sur des intérêts communs, notamment en matière de développement durable et de coopération économique.

L’élection de Donald Trump pourrait entraîner une recomposition des alliances culturelles et idéologiques. […] Dans ce cadre, l’Afrique pourrait être confrontée à un choix stratégique : s’aligner avec des blocs partageant des valeurs similaires ou renforcer ses propres paradigmes culturels.

Le retour en force du panafricanisme dans ce contexte pourrait jouer un rôle essentiel en unifiant le continent autour de projets communs. À travers des initiatives de solidarité, d’échanges culturels et de développement économique, l’Afrique pourrait non seulement affirmer son autonomie face aux puissances occidentales, mais aussi proposer un modèle alternatif de gouvernance pragmatique, basé sur la spécificité de ses enjeux et la richesse de son patrimoine culturel.

Par ailleurs, lors de son premier mandat, Trump a montré une tendance à réduire l’engagement militaire américain à l’étranger.​​ ​​Un second mandat pourrait se traduire par un désengagement des États-Unis de certaines initiatives sécuritaires en Afrique, obligeant les pays africains à renforcer leur propre capacité de défense ou à rechercher de nouveaux partenariats.​​ Trump a souvent adopté une approche transactionnelle des relations internationales.​​ ​​En Afrique, cela pourrait se traduire par une focalisation sur les pays offrant des avantages stratégiques ou économiques directs aux États-Unis, au détriment d’une politique continentale cohérente.

L’élection de Donald Trump signifie non seulement un changement dans les relations des États-Unis avec l’Afrique, mais également un cadre de référence qui remodèlerait les perceptions, les croyances et les émotions des acteurs sur le continent. Les pays africains devront naviguer dans cette complexité tout en adaptant leurs stratégies pour promouvoir leurs intérêts dans un monde où les alliances traditionnelles pourraient se désagréger.

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