Au Burkina Faso, la peine de mort comme cadeau de Noël ?
Le régime burkinabè a annoncé un vraisemblable rétablissement de la peine de mort, à la faveur de la refonte du Code pénal. Comment ce recul majeur peut-il se concrétiser dans les faits ?
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 12 novembre 2024 Lecture : 3 minutes.
« Bien entendu ». C’est ainsi que, le 8 novembre dernier, Edasso Rodrigue Bayala, ministre burkinabè de la Justice, a répondu à ce qui lui semble une évidence : le retour de la peine de mort au Burkina Faso. Une sentence qui, selon lui, « va être instaurée dans le projet du Code pénal ». Si aucun agenda n’a encore été établi, une source gouvernementale relayée par l’Agence France-Presse confirmait, le lendemain, que l’idée était dans les tuyaux du gouvernement qui décidera du moment idéal pour « en faire la proposition à l’Assemblée législative de transition (ALT) pour adoption ».
La perspective hérisse évidemment les abolitionnistes, alors qu’aucune exécution n’a été officiellement enregistrée dans le pays depuis 1988, et que la peine de mort a été formellement interdite sous le régime – élu – de Roch Marc Christian Kaboré, le 31 mai 2018. Une abolition qui s’inscrivait dans la droite ligne d’une position « abolitionniste de fait » puisqu’un moratoire était appliqué depuis 2007.
Certains avaient considéré qu’il s’agissait en réalité d’un renoncement à la peine capitale « opportuniste »: en effet, la justice française venait de refuser l’extradition vers le Burkina Faso de François Compaoré, frère de l’ancien président Blaise Compaoré, au motif qu’il avait des raisons de craindre pour sa vie en cas de condamnation dans son pays.
Le contexte sécuritaire comme justification ?
S’il faut attendre que la junte militaire déploie ses arguments, le moment venu, il y a fort à parier que le caractère présumé dissuasif de la peine capitale sera mis en avant. Pourtant, à l’échelle internationale, les statistiques montrent que non seulement la peine de mort ne protège pas contre les crimes les plus cruels mais qu’elle pousse certains à un jusqu’au-boutisme qui les incite à faire disparaître tout témoin ou tout élément des forces de l’ordre susceptibles de les conduire vers le couloir de la mort. Des statistiques qui ne devraient guère peser dans un pays où le débat est mâtiné de populisme, et le contexte sécuritaire marqué par les attaques terroristes.
Comme en RDC, qui vient de rétablir la peine de mort, seront certainement mis à l’index ceux qui seront convaincus de haute trahison, un crime particulièrement évoqué dans un Faso secoué par de multiples tentatives présumées de déstabilisation de l’État.
Quelle procédure pour quelle légitimité ?
Quoiqu’on pense de l’annonce du ministre Edasso Rodrigue Bayala, la question de la légitimité de la procédure se pose. En effet, l’ALT est composée de membres nommés par un régime qui n’est pas passé par la case de l’élection démocratique. Quelles que soient les bonnes intentions présumées des autorités de transition, justiciable échaudé craint l’eau froide.
Primo, la nomination, par le président burkinabè, de membres du Conseil supérieur de la magistrature apparaît comme un coup de canif dans le principe de séparation des pouvoirs, et laisse présager d’une atteinte à l’indépendance de la justice.
Secundo, certaines innovations légales burkinabè semblent inspirer des usages opportunistes. À titre d’exemple, le décret d’avril 2023 portant « mobilisation générale » ne s’est pas traduit par un traditionnel envoi « général » de classes d’âges au front, mais par un ciblage individuel d’opposants et de personnalités « contrariantes » pour le pouvoir. Si l’on craint une telle instrumentalisation de la peine de mort, la légitimité de sa restauration sera-t-elle référendaire ? Si un tel scrutin était envisagé, comment expliquerait-on alors qu’aucune élection législative ou présidentielle n’est envisagée avant quatre ans et demi ?
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