Trick Daddy, le rappeur qui ne veut pas être « afro-américain »
Dans une vidéo, l’artiste invalide l’appellation « afro-américain », en affirmant qu’il ne vient pas d’Afrique et qu’il n’a pas l’intention de se rendre sur le continent. Les internautes s’en émeuvent… plus ou moins.
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 14 novembre 2024 Lecture : 3 minutes.
Que celui qui veut entreprendre la quête de légitimité linguistique d’une gamme de mots qui va de « black » à « africain-américain » en passant par « afro-américain » sache qu’il s’apprête à marcher sur des œufs. Des études ethno-historiques nourrissent un débat parfois stérile, des bras de fer entre boomers et zoomers – membres de la génération Z – et une bonne dose de storytelling souvent narcissique. Ici un chanteur et un acteur américains partent à la recherche d’eux-mêmes au Ghana ou au Gabon ; là, des politiciens qui n’ont guère de lien avec des descendants d’esclaves traquent les électeurs avec plus ou moins de succès.
La nouvelle pierre à cet édifice identitaire n’est pas la plus brillante. Maurice Young s’est fait connaître sous le pseudo de Trick Daddy, avant de passer à la moulinette de la téléréalité. Dans la déclinaison miaméenne de l’émission Love & Hip Hop, le rappeur quinquagénaire s’essaie à un divertissement dont le réalisme capillotracté n’a d’égal que sa vulgarité. Dans une vidéo publiée récemment par le blog That Grape Juice, Trick Daddy éructe : « J’essaie de comprendre comment le terme ‘afro’ peut passer avant ma ‘putain’ de race ».
« Je ne suis jamais allé en Afrique »
En termes fleuris, l’artiste rejette l’appellation « afro-américain ». Manifestement contrarié, il rappelle qu’il est « né à Goulds », dans l’État américain de Floride et que par conséquent, il ne vient « pas d’Afrique ». Pour enfoncer le clou de son identité purement américaine, il remonte les générations, en réaction à l’attachement qu’il devrait avoir à l’égard du continent africain : « Ni ma mère, ni sa mère, ni la mère de sa mère, ce n’est leur terre ». Non seulement il insiste sur le fait que « la vraie terre des Américains se trouve ici, sur le sol américain », mais il ajoute : « Je ne suis jamais allé en Afrique […] et je n’envisage pas d’y aller ». Avis aux organisateurs de concerts ? Pas sûr que ses fan-clubs comptent beaucoup de membres sur le continent.
Pour compenser sa grossièreté par un minimum de « politiquement correct », Trick Daddy précise : « J’ai entendu dire que l’Afrique est un endroit magnifique, oui ». Le vétéran du rap concède même que « c’est la mère patrie ». Peine perdue ?
Afro-américain ou africain-américain ?
La saillie du rappeur a déclenché des réactions sur les réseaux sociaux. Des internautes le défendent en comprenant que les Américains noirs du XXIe siècle condamnent la traite négrière du XIXe siècle, sans pour autant ressentir nécessairement un lien profond avec le continent d’origine de leurs ancêtres. D’autres qui cultivent les liens entre l’Afrique et les États-Unis s’amusent, à grand renfort de smileys, en affirmant que leur cause n’a pas vraiment besoin de starlettes qui lui font perdre du temps.
Si le buzz de Trick Daddy ne devrait pas devenir l’affaire de la décennie, il rappelle à quel point la validation de termes comme « afro-américain » est un vrai sujet de réflexion. Il y a quelques années, l’artiste Morgan Freeman s’était insurgé, lui, contre le qualificatif « africain-américain » qui tendait à remplacer « afro-américain » qui, lui, avait supplanté ce que le comédien appelle « le mot en n ». Celui qui a tourné sur le continent et incarné Nelson Mandela a davantage de poids moral que Trick Daddy pour affirmer que la fierté d’être noir ne résume pas une identité à cet état de fait. Qui mettra la prochaine pièce dans le juke-box ?
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