Le président du Nigeria en France : une visite pour rien ?
Bola Tinubu effectuera une visite d’État les 28 et 29 novembre, la première d’un président nigérian en France depuis 2000. Mais le Nigeria a-t-il les atouts pour devenir un partenaire fiable, s’interroge Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherches à l’Institut de recherche pour le développement.
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Marc-Antoine Pérouse de Montclos
Directeur de recherches à l’Institut de recherche pour le développement. Dernier ouvrage paru : Géopolitique du Nigeria, PUF, 2024.
Publié le 21 novembre 2024 Lecture : 4 minutes.
Le président du Nigeria, Bola Tinubu, va effectuer pour la première fois une visite d’État à Paris. Sa venue, les 28 et 29 novembre, vise à resserrer les liens économiques et politiques entre la France et le pays le plus peuplé d’Afrique, un géant anglophone qui doit permettre à l’Élysée de repositionner ses intérêts sur le continent après l’échec de l’opération Barkhane et les revers subis au Sahel. Mais les défis sont considérables.
Insécurité, pauvreté, corruption : les maux qui gangrènent le Nigeria sont bien connus. Le président Tinubu est-il en mesure de redresser la barre ? Beaucoup d’observateurs estiment que non. En 2023, il a été mal élu dans un pays où l’abstention ne cesse de progresser depuis la fin de la dictature militaire en 1999. La loi électorale garantit la victoire au candidat qui gagne le plus grand nombre de voix dans au moins deux tiers des 36 États de la fédération nigériane. Par conséquent, et comme aux États-Unis, un président peut être élu avec moins de 50 % des suffrages exprimés au niveau national. En début d’année, un amendement déposé par l’opposition visait à réformer ce dispositif, avant d’être rejeté à la Chambre des représentants.
Déçue par les limites du parlementarisme, la population ne cache pas sa défiance à l’encontre de dirigeants, mafieux et affairistes selon elle. D’après des sondages réalisés auprès de 10 000 Nigérians à l’échelle nationale, tant les pauvres que les classes moyennes considèrent que la corruption constitue le plus gros problème du pays. À défaut de soutenir le projet des jihadistes, les hommes musulmans, en particulier, y voient une cause fondamentale de l’émergence de Boko Haram qui n’a jamais cessé de dénoncer l’impiété et la prévarication des élites occidentalisées.
De fait, les efforts du gouvernement pour lutter contre les malversations ont été décevants. Sur 26 gouverneurs poursuivis en justice pour corruption entre 2006 et 2019, seulement cinq ont effectivement été condamnés à purger une peine de prison, dont deux grâce à des arrestations à l’étranger et non au Nigeria. Les procédures d’impeachment semblent un peu plus efficaces : entre 1981 et 2021, elles ont permis de destituer ou de pousser à la démission 51 des 74 élus qui avaient fait l’objet de telles actions.
Buhari, ou l’ombre de l’ancien dictateur
Concrètement, la lutte contre la corruption sert surtout à se débarrasser d’opposants et non à améliorer les pratiques de gouvernance. Ainsi, Tinubu a préservé l’immunité de son prédécesseur Muhammadu Buhari, un ancien dictateur militaire qui appartient au même parti politique. Ce dernier aurait pourtant dû rendre des comptes sur sa gestion catastrophique de l’économie nigériane. Ses tribulations politiques auraient aussi dû interroger la réputation d’intégrité d’un homme qui a fini par endosser en 2023 la victoire électorale de Tinubu en vertu d’un arrangement passé dès 2015.
Après le retour à un régime civil en 1999, Buhari s’est en effet essayé au parlementarisme en se présentant à la présidence sous la bannière d’une formation qui représentait les intérêts des caciques musulmans du Nord. À l’époque, déjà, ses supporters ont dû acheter les voix des délégués pour remporter les primaires contre un candidat ibo du Sud.
De nouveau défait aux élections présidentielles de 2007, Buhari a ensuite décidé de lancer son propre parti en 2011, le CPC (Congress for Progressive Change). À défaut de tout positionnement idéologique, cette plateforme devait uniquement servir à soutenir sa candidature et comptait dans ses rangs un fils du dictateur Sani Abacha qui, chargé de gérer la fortune de son père décédé, était poursuivi aux États-Unis et en Suisse pour détournements de fonds.
À cet égard, le CPC ne devait guère se distinguer des autres partis en lice pour les élections de 2011. Ses primaires, qui se déroulèrent dans la ville de Kano, furent tout aussi frauduleuses et violentes. Avec le soutien de Tinubu, un Yoruba du Sud-Ouest, Buhari n’en a pas moins réussi à se faire élire en 2015 pour le compte d’une coalition, l’APC (All Progressives Congress), qui lui a permis de mobiliser divers segments de l’électorat tout en se présentant comme un chantre de la lutte anticorruption.
Dans les régions septentrionales d’où il était originaire, il n’a pas emporté l’adhésion des masses musulmanes à cause d’un quelconque engagement en faveur des pauvres, mais en souvenir de son intransigeance en tant que dictateur militaire en 1984, lorsqu’il avait humilié les riches en emprisonnant les élites autrefois au pouvoir dans le cadre d’une éphémère république parlementaire entre 1979 et 1983.
Tinubu, un pur produit du système
En 2015, Buhari a alors cherché à construire sa légitimité en révélant l’ampleur de la corruption de son prédécesseur, Goodluck Jonathan. Mais l’illusion a été de courte durée. En pratique, le gouvernement de Buhari n’a pas échappé au népotisme et a été marqué par la personnalisation du pouvoir autour d’un général charismatique, autoritaire, vieillissant et malade. De 2019 à 2023, le deuxième mandat du président a définitivement douché les espoirs des réformateurs. Fin 2018, les primaires de l’APC n’ont guère été plus démocratiques que celles du CPC en 2011. Une fois réélu, Buhari allait ensuite soutenir jusqu’au bout le gouverneur de Kano, Abdullahi Umar Ganduje, alors que celui-ci avait été filmé à son insu en train d’empocher un pot-de-vin. Dans le même ordre d’idées, il a gracié en 2022 deux fameux gouverneurs emprisonnés pour des détournements de fonds dans le Plateau et le Taraba.
Tinubu, lui, est un pur produit de ce système. Autrefois poursuivi aux États-Unis pour une affaire de blanchiment d’argent de la drogue, il n’incarne pas les espoirs des réformateurs qui souhaitent améliorer la gouvernance du Nigeria. Tout aussi malade et âgé que son prédécesseur, il ne répond pas non plus aux aspirations d’une jeunesse qui rêve de changement. Assurément, Tinubu ne sera pas le pilier d’un renouveau des relations entre la France et l’Afrique.
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