Pétrole : le grand retour de l’Afrique centrale

Les nouvelles découvertes d’hydrocarbures dans l’offshore profond attirent les investisseurs en Afrique centrale. L’exploration se poursuit tous azimuts et la production devrait repartir à la hausse.

Au large du Gabon. Tous les gisements détectés ces derniers mois sont en offshore profond ou semi-profond. © Dufour Marco

Au large du Gabon. Tous les gisements détectés ces derniers mois sont en offshore profond ou semi-profond. © Dufour Marco

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© Vincent Fournier pour JA OMER-MBADI2_2024

Publié le 2 octobre 2013 Lecture : 7 minutes.

Début août, la major italienne Eni a annoncé une découverte d’envergure au Congo : un puits offshore creusé à 17 km au large, dans le bloc Marine XII, a révélé un gisement estimé… à 600 millions de barils de brut léger. Soit la plus importante quantité d’or noir découverte dans cette zone depuis Jubilee (d’abord estimé à 800 millions de barils, il dépasse aujourd’hui le milliard) dans les eaux ghanéennes en 2007. Et il ne s’agit là que des premières estimations. Au sommet de l’État, la nouvelle a été fêtée comme il se doit. D’autant que ce même puits contient, en plus du pétrole, environ 20 milliards de m3 de gaz. Et que tout porte à croire que le sous-sol maritime congolais n’a pas encore dévoilé tous ses secrets, puisque selon l’agence américaine US Geological Survey, les réserves non explorées y avoisineraient 5,8 milliards de barils.

Quelques jours après le Congo, c’est du Gabon que sont venues des nouvelles encourageantes. Le premier forage de Total en mer très profonde, à plus de 100 km des côtes, a fait apparaître du gaz à condensats, un sérieux indicateur de présence d’hydrocarbures. Le groupe français affirme poursuivre l’analyse des données recueillies pour préciser prochainement l’importance de ce gisement. « Cette découverte est d’autant plus significative que c’est la première fois au Gabon qu’on trouve des traces d’hydrocarbures à cette profondeur [près de 5 600 m] », explique Charles Tchen, ancien administrateur de Shell Gabon et responsable du cabinet Independent Petroleum Consultants (IPC).

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Réserves récupérables

Depuis fin 2012, l’Afrique centrale vit au rythme d’annonces de ce type. Au Cameroun, c’est d’abord Addax Petroleum (filiale suisse du chinois Sinopec) qui a annoncé la découverte d’un gisement de pétrole et de gaz dans le bassin offshore de Rio del Rey, non loin de la péninsule de Bakassi, réputée très riche en or noir. En attendant la phase d’appréciation de la taille réelle du gisement, prévue pour cette année, les réserves récupérables ont été estimées à 20 millions de barils. Ensuite EurOil, filiale camerounaise de la junior britannique Bowleven, et la Société nationale des hydrocarbures (SNH) ont confirmé la présence de pétrole léger dans un puits d’Etinde, toujours dans le bassin de Rio del Rey, portant le volume mis en évidence à 155 millions de barils.

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De quoi relancer le secteur pétrolier de ces trois pays, confrontés ces dernières années à une baisse de leur production. Celle du Congo avoisinait 265 000 barils/jour en 2012, contre 305 000 b/j lors du pic atteint en 2010. Au Gabon, autrefois qualifié de « petit émirat d’Afrique centrale », les 245 000 b/j actuels sont bien loin des 350 000 b/j de la fin des années 1990. Et d’après Charles Tchen, « si on ne fait aucune découverte dans les trois prochaines années [et si le forage de Total ne répond pas aux attentes], ce chiffre pourrait encore baisser ». Le Cameroun, lui, a vu sa production de brut dégringoler de 186 000 b/j en 2005 à quelque 90 000 b/j fin 2012.

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Mastodontes

Mais désormais, les analystes sont optimistes. Concernant le Congo, « les perspectives sont prometteuses ; les récentes découvertes devraient stimuler de manière durable la production à plus long terme », écrit l’équipe de recherche d’Ecobank dans une récente étude. Le groupe bancaire panafricain n’est pas le seul de cet avis. La Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) prévoit une production de 54 millions de tonnes en 2017 pour les pays de la zone, contre 48,8 millions en 2012. Dans une note interne, la banque centrale sous-régionale estime que « cette évolution sera liée à un accroissement continu de la production au Cameroun, au Congo, au Gabon et, dans une moindre mesure, au Tchad au cours de la période ». Certes on restera loin des mastodontes angolais et nigérian, mais les pays d’Afrique centrale feront progressivement leur retour.

Les États tirent les leçons du passé et s’impliquent davantage dans l’activité.

Ce retournement de conjoncture a une explication : « L’arrivée de nouveaux opérateurs dans l’exploration, la production, la sous-traitance pétrolière et le raffinage, constate Robert Nken, qui dirige le bureau congolais de KPMG. Il s’agit notamment d’entreprises chinoises, américaines, japonaises, indiennes, australiennes ou encore sud-africaines. » Les raisons de leur engouement ? Les similitudes entre les formations géologiques du sous-sol marin de la région et celles du bassin de Santos, au Brésil, où d’importants gisements antésalifères ont été découverts en 2007, avec des réserves prouvées avoisinant aujourd’hui 20 milliards de barils d’or noir.

De fait, « les nouvelles opportunités sont situées en offshore profond et semi-profond, avec des coûts d’exploitation très élevés », note Robert Nken. Mais avec un cours du brent au-dessus des 100 dollars (75 euros) le baril, l’intérêt des opérateurs ne faiblit pas, comme le confirme l’entrée en mai de Qatar Petroleum International (QPI) dans le capital de Total E&P Congo, à hauteur de 15 %, pour développer le gisement prometteur de Moho Nord (dont Total détient 53,5 %). Le coût de ce projet en eau profonde est évalué à Gisements info10 milliards de dollars, et les prévisions tablent sur une production journalière de 140 000 barils dès 2017. Pour le Congo, cela représentera, à terme, plusieurs milliards de dollars de revenus supplémentaires.

Mais si les États se montrent généreux vis-à-vis des compagnies en leur attribuant à tour de bras des licences d’exploration et de production, ils semblent avoir tiré les leçons du passé et affichent leur volonté de prendre une plus grande part aux activités pétrolières. Au Gabon, la société nationale Gabon Oil Company, créée pour gérer les participations de l’État dans le secteur, s’apprête à se lancer dans la production et annonce son premier baril pour 2014. Libreville a conclu des accords d’enlèvement de brut avec les deux principaux producteurs du pays, Shell et Total. Jusqu’alors, les deux compagnies commercialisaient la part de brut revenant à l’État et lui reversaient le produit de la vente ; désormais, le Gabon pourra suivre lui-même la chaîne de commercialisation.

Par ailleurs, les autorités n’ont pas hésité à retirer à Addax le permis du puits d’Obangué pour non-respect du contrat d’exploitation. Cette décision faisait suite aux résultats (encore confidentiels) d’un audit intégral du secteur commandé au cabinet Alex Stewart International. Celui-ci a passé au crible les pratiques des compagnies dans plusieurs domaines, notamment la fiscalité et la commercialisation du pétrole.

Vitesse de croisière

Si de telles mesures n’ont pas été prises au Cameroun et au Congo, les compagnies nationales de ces deux pays sont elles aussi de plus en plus actives. La Société nationale des pétroles du Congo (SNPC) a par exemple racheté à la junior Panoro Energy sa part de 20 % dans le permis Mengo-Kundji-Bindi (proche de l’enclave de Cabinda), jugé prometteur après l’extraction des premiers barils. Au Cameroun, la SNH est également présente à travers des prises de participations dans les champs exploités par Addax et le franco-britannique Perenco.

Mais les fruits de toutes ces initiatives, qui visent à tirer le maximum de bénéfices de l’exploitation pétrolière, ne seront visibles qu’à partir de 2015, voire 2017, lorsque le développement des nouveaux gisements aura atteint sa vitesse de croisière. Seule incertitude : une probable chute des cours, qui viendrait contrarier la réalisation de nombre de projets.

Chacun son fonds souverain

Pour gérer la manne pétrolière, presque tous les pays de la région optent pour cette solution.

Le mois dernier, dans la foulée de l’annonce d’Eni, Brazzaville a rendu public un projet de loi créant un Fonds national d’investissement du Congo. Cet établissement public, dont le capital n’est toujours pas dévoilé, ambitionne d’utiliser les excédents de liquidités issues de l’exportation des matières premières (dont le pétrole) pour acquérir des bons et obligations du Trésor de différents États, mais aussi de prendre des participations dans des entreprises étrangères désireuses d’investir au Congo. Il remplacera le Fonds de réserve pour les générations futures, jusque-là logé à la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac).

Le Congo emboîte ainsi le pas au Gabon, qui a transformé, en février 2012, son fonds pour les générations futures en Fonds souverain de la République gabonaise. Son capital de départ – 500 milliards de F CFA (762 millions d’euros) – provient, entre autres, d’un prélèvement de 10 % sur les recettes pétrolières annuelles, de la moitié des recettes budgétaires additionnelles et des dividendes du portefeuille des participations de l’État. Si le Tchad et la Guinée équatoriale – dont le fonds, créé en 2002, pèse aujourd’hui environ 60 millions d’euros – ont gardé la formule des Fonds de réserve pour les générations futures gérés par la Beac, la finalité reste la même : investir dans des actifs hautement rentables pour se prémunir d’éventuels retournements des cours mondiaux.

Inamovible

À ce stade, seul le Cameroun s’écarte de cette mode. La Société nationale des hydrocarbures (SNH), dirigée par l’inamovible Adolphe Moudiki, proche du président Paul Biya, continue de gérer la rente pétrolière en diversifiant son portefeuille de participations au Cameroun et à l’étranger.  O.M.

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