Micro-finance : l’assistance technique en débat
Pour que le micro-crédit en Afrique serve le développement du continent, l’assistance technique aux institutions de micro-finance devrait porter davantage sur l’identification des besoins et inclure un soutien à long terme. Telles sont les conclusions de la table-ronde organisée durant le Forum Mondial Convergences 2013.
La 6e édition du Forum mondial Convergences se tient à Paris du 17 au 19 septembre 2013. Point de rencontre annuel de près de 5 000 décideurs publics, représentants d’ONG et d’entreprises, le forum est consacré cette année aux Objectifs du millénaire de développement (OMD), notamment à leur évolution après 2015. Parmi les principales thématiques abordées durant ces rencontres : le microfinancement et les moyens de renforcer son impact sur la réduction de la pauvreté, en Afrique subsaharienne notamment.
Mariam Dao Gabala, Mme Oikocredit
De passage à Paris au début de mois de septembre 2013, l’ivoirienne Mariam Dao Gabala, représentante pour l’Afrique de l’Ouest d’Oikocredit, s’est efforcée d’expliciter la place à part occupée par Oikocredit dans le paysage du microfinancement.
En Afrique, la coopérative internationale d’investissement, fondée en 1975, est présente dans 19 pays, dispose de 11 bureaux permanents et compte plus de 130 partenaires, dont 70% d’IMF. Le continent représente 15% du portefeuille d’Oikocredit (soit près de 80 millions d’euros d’encours).
Pour sa directrice Afrique de l’Ouest, la stratégie d’Oikocredit dans la région repose sur sa disposition à investir des sommes importantes sur les projets jugés viables (en Afrique de l’Ouest Oikocredit prête en moyenne 574 000 euros par projet) et sur ses programmes de renforcement des capacités et du management.
Illustration de cette stratégie : le cas de Kuapa Kokoo Limited au Ghana. L’investissement de Oikocredit dans cette coopérative de cultivateurs de cacao a pris trois formes : un prêt de 2,5 millions d’euros consacrés au renforcement des capacités de production (modernisation des outils, engrais, formation technique), un crédit de 600 000 euros dans la création de Divine Chocolate UK et 1,5 million d’euros alloués à la formation de Divine Chocolate USA, sociétés spécialisées dans la production et la vente de chocolat « équitable » issus des récoltes de Kuapa Kokoo.
Grâce à cette approche « intégrée » de Oikocredit, Kuapa Kokko représente désormais 20% des capacités de production de cacao au Ghana.
Des services inadaptées
En effet, bien que le continent recueille environ 30% des projets de microfinance examinés par le forum, l’offre de services repose en grande partie sur le simple micro-crédit, sous forme de prêts solidaires. Les offres de micro-épargne ou de micro-assurance pour les particuliers, de même que des produits financiers plus adaptés aux besoins des petites entreprises sont manquants, contrairement aux expériences asiatiques et latino-américaines.
Aider les institutions de microfinance (IMF) à diversifier leurs services et à s’adapter aux besoins des populations est un facteur-clé de réussite. C’est l’un des principaux enseignements de la table-ronde organisée durant le forum sur la question de l’assistance technique en direction des IMF.
Parmi les défis communs aux organismes de microfinance, selon les résultats d’une étude du Groupe consultatif pour l’assistance aux plus défavorisés (Cgap) réalisée auprès de 413 IMF et de 221 prestataires de services (renforcement des capacités, assistance technique), figurent les difficultés à trouver du personnel qualifié (pour 51% des IMF d’Afrique subsaharienne), les retards dans le développement de produits financiers et dans la gestion des risques.
Inadéquation entre offre et demande de services
Pour Benoît Monsaingeon, président et fondateur de Microfinance Sans Frontières (MFSF), cet écart tient au fait que les IMF ont souvent du mal à identifier leurs besoins et à les formaliser. Aussi, les bénévoles de son organisation (soutenue par la banque française BNP Paribas) étaient souvent confrontés au fait que leurs recommandations n’étaient pas suivies ou appliquées, en partie parce que les organes de microfinance n’avaient pas clairement perçu leur nécessité.
Même son de cloche chez Giampietro Pizzo, président du Réseau italien de microfinance (Ritmi) qui précise : « Il est important d’engendrer le dialogue avec les IMF et de poser les bonnes questions. C’est seulement après ça qu’on peut dégager les priorités et renforcer leurs capacités. »
Ces échanges sont d’autant plus importants, tient-il à souligner, que « l’assistance technique a un coût qui n’est pas négligeable. Il faut donc tenir compte des capacités de financement des IMF ». Ainsi, la multiplication de missions d’assistance technique parfois redondantes et souvent non-suivies d’effets reste un problème majeur.
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Faut-il adopter une « logique de marché » ?
Pour Emmanuel Moyart, coordinateur du programme ACP/EU Microfinance, les bailleurs de fonds ont une part de responsabilité. Comme il l’indique : « C’est un problème recurrent. Après le énième rapport, la énième mission d’assistance, on se rend compte que le travail n’est pas utilisé. Et la Commission européenne est un peu coupable. Ce sont souvent les mêmes organisations de microfinance, en général les plus grandes et les mieux établies qui sont capables de répondre aux appels d’offres. »
Parmi les solutions proposées figurent l’accompagnement de long terme, la création de plateformes dédiées à l’assistance technique et l’adoption d’une « logique de marché ». Selon Giampetro Pizzo, il est important de renforcer les réseaux locaux d’assistance technique et d’avoir des structures plus permanentes, capables de suivre les IMF sur le long terme et de vérifier l’application des recommandations. C’est également l’avis de Benoît Monsaigeon qui regrette la succession de missions ponctuelles et l’absence d’un accompagnement continu.
Plateforme d’échanges
Aussi, une plateforme d’échanges entre prestataires de services pourrait aider à identifier et à signaler les IMF qui, du fait de leur taille et de leurs ressources, n’arrivent pas à monter des dossiers de financement de leurs besoins en matière d’assistance et de renforcement des capacités. L’adoption d’une approche « marché », recommandée par Cgap, a reçu un accueil mitigé. Pour plusieurs des intervenants, le micro-crédit est né justement pour remédier aux faiblesses de l’économie de marché et pour aider ceux qui en avaient été exclus. Ainsi, recourir aux logiques de rentabilité propres aux entreprises traditionnelles serait une erreur.
De plus, s’est empressé de rappeler Giampietro Pizzo, « le marché peut être myope » et éviter des investissements de long terme pourtant profitables. Pour Benoît Monsaigeon : « Tout dépend de ce qui est entendu par logique de marché. Si cela implique d’aider les IMF à s’adapter aux demandes des clients et à adopter un modèle économique viable », l’approche peut être envisagée.
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