Arts plastiques : Dak’art prend le vert
À l’occasion de la 11e Biennale des arts contemporains de Dakar, sept artistes venus de différents horizons ont investi le Jardin d’expérimentation des plantes utiles de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar pour une exposition d’oeuvres éphémères réalisées avec les matériaux trouvés sur place.
Et si les artistes montraient l’exemple en produisant un art biodégradable, en ces temps où il est nécessaire de "devenir écocitoyen plutôt qu’écoprédateur", comme le dit le ministre sénégalais de la Pêche et des Affaires maritimes, Haidar El Ali ? Innovation majeure de la 11e Biennale des arts contemporains de Dakar, sept artistes venus de différents horizons ont investi le Jardin d’expérimentation des plantes utiles de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar.
>> Lire aussi : quand Dakar devient Dak’Art
Un pinceau chargé de peinture verte à la main, l’artiste et scénographe d’Art et matière végétale Daouda Ndiaye explique : "Le principe était simple : nous avons demandé aux artistes de travailler dans le jardin des plantes utiles de la faculté de médecine et de pharmacie de Dakar, avec des matériaux trouvés sur place et biodégradables." Face à ce défi, tous ont répondu avec leur sensibilité personnelle, et en respectant plus ou moins strictement les consignes, illustrant parfois sans le vouloir à quel point l’homme a du mal à se détacher du monde matériel qu’il a bâti autour de lui.
Grand maître du "Land Art" connu pour ses immenses nids de bois, l’Allemand Nils Udo a dégagé les racines d’un immense fromager et subtilement tressé les lianes s’enroulant sur son tronc. "Il a ensuite entouré ce tronc d’une palissade totalement végétale, tissée par des artisans de Thiès, poursuit Daouda Ndiaye. Il leur a même demandé de se servir de fibres de rônier plutôt que du fil de fer dont ils ont aujourd’hui l’habitude ! Le voir travailler est impressionnant : il est en communion totale avec la nature."
Le Belge Bob Verschueren s’est pour sa part emparé d’un bâtiment circulaire de béton, à moitié détruit, au sein duquel il a placé de grandes tiges de bambous formant une puissante spirale. Un peu comme si le végétal voulait reprendre ses droits sur le béton – et à Dakar, où les immeubles ne sont pas toujours des chefs d’oeuvres d’architecture, cette symbolique ne manquera pas d’avoir quelques échos…
Plus sombre, le Français François Méchain a créé un cimetière des plantes disparues, inscrivant leur nom latin sur des panneaux blancs, rappelant ces longues allées de croix blanches sous lesquelles dorment les soldats morts à la guerre. "Méchain a justifié l’utilisation du plastique dans son œuvre par l’idée que cela représente pour lui la mort du végétal, raconte Daouda Ndiaye. Mais il a aussi planté au milieu de son cimetière un mât en bambou avec une feuille de palmier en berne… "
Oeuvre de François Méchain. © Nicolas Michel pour J.A.
De la même manière, le Sénégalais Serigne Mbaye Camara n’a pas tout à fait respecté la consigne, puisqu’il a réalisé son œuvre dans son atelier et utilisé deux miroirs. Il n’empêche : son travail parlera à tous les habitants du pays, puisqu’il s’agit d’une bibliothèque de plantes médicinales conditionnées à la manière locale. Même si le non-respect des exigences premières a provoqué quelques frictions avec la commissaire de l’exposition Rokhaya Gueye, nul ne dira que cet évocateur tableau de feuilles séchées n’a pas sa place ici.
Oeuvre de Serigne mbaye camara. © Nicolas Michel pour J.A.
Autre Sénégalais exposé au jardin des plantes utiles, Cheikh Diouf a donné à son travail une dimension plus sociale en créant à partir de bouts de bois brut des personnages de réfugiés en errance, dont certains assis au pied de termitières géantes. "Les termitières, explique Daouda Ndiaye, sont des endroits où les reptiles ne vont pas. Les réfugiés s’y installent parce qu’il y a moins de danger."
Et tandis que la Belge Marie Zolamian proposait une installation sonore en lien avec les traces de pollution observées dans le jardin, le Camerounais Barthélémy Toguo offrait de son côté une installation fidèle à l’action quotidienne mêlant art et agriculture qu’il mène dans sa résidence de Bandjoun Station.
Ici, il a labouré entre les arbres un arpent de terrain épousant la forme d’une carte de l’Afrique. Il y a ensuite planté des haricots. Autour, il a placé 54 tabourets représentant les 54 pays africains, comme une invitation au dialogue autour de la question des terres et de l’agriculture. "J’ai pris les graines ici au Sénégal, dit-il. Les haricots, c’est un aliment très complet qui a beaucoup de vertus. Pendant toute la période de l’esclavage, les Blancs le cultivait pour engraisser pendant un mois ou deux les esclaves avant de leur faire subir l’éprouvante traversée du Passage du milieu…" Fidèle à son humour, le plasticien ne compte pas en rester là : "Quelle qualité d’agriculture veut-on dans le monde ? C’est la question que je pose. Lorsque ces haricots de premier choix auront porté leurs fruits, on va les récolter et organiser une soirée de dégustation. Je vais moi-même les cuisiner en suivant la recette d’un plat sénégalais !"
Perdues sous les frondaisons des arbres du jardin, ces œuvres éphémères résonnent aujourd’hui comme des avertissements venus du cœur du végétal. Puissent leurs cris silencieux être entendus.
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Nicolas Michel, envoyé spécial à Dakar
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