L’ambassadeur français Zaïr Kedadouche démissionne et dénonce le racisme des diplomates

L’ex-ambassadeur de France en Andorre, Zaïr Kedadouche, a démissionné de ses fonctions le 1er avril, condamnant un “racisme abject” au sein du Quai d’Orsay. Il veut désormais mener ce combat devant la justice.

L’ex-ambassadeur Zaïr Kedadouche, en 2004. © AFP

L’ex-ambassadeur Zaïr Kedadouche, en 2004. © AFP

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Publié le 13 mai 2014 Lecture : 3 minutes.

Mis à jour le 13 mai à 16h50

"Je démissionne au nom des valeurs de la République parce que j’ai été traité différemment, discriminé, notamment à cause de mon nom", annonce Zaïr Kedadouche. Le ton est calme mais le regard plein de ressentiment. À 56 ans, le diplomate est le premier ambassadeur français à quitter de sa propre initiative son poste en cours d’exercice.

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Cela faisait quelques mois qu’il mûrissait cette réflexion. En août 2013, Kedadouche, alors encore ambassadeur auprès de la principauté d’Andorre, avait provoqué des remous dans la diplomatie française en dénonçant les attaques insidieuses qu’il subissait au Quai d’Orsay et les tentatives de ses collègues de le discréditer en raison de ses origines algériennes.

Dans une lettre adressée au ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, et publiée par le journal Le Point, il condamnait les "discriminations feutrées" et fustigeait le comportement de certains de ses collaborateurs. Il évoquait également un "racisme social" qui ne laissait que peu de place à ceux qui ne sont pas passés par le système traditionnel et les Grandes écoles (Sciences Po, Ena, etc.) Zaïr Kedadouche avait alors saisi le défenseur des droits, Dominique Baudis, pour mettre un terme à "l’omerta" qui sévissait sous les ors de la République.

>> Lire aussi : Zaïr Kedadouche, un ambassadeur français victime de discrimination ?

Mais une fois le tintamarre médiatique étouffé, Kedadouche s’était à nouveau muré dans le silence. "Je me taisais mais continuais le combat en sous-marin", raconte-t-il. C’est dans une lettre au Président de la République François Hollande qu’il a renouvelé sa critique cinglante de l’administration, y dénonçant "l’existence intrinsèque du racisme et de l’antisémitisme qui gangrènent notre République de l’intérieur, même de son cadre administratif."

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Du droit de réserve au droit de citoyen

"M’appelant Zaïr Kedadouche, des affectations de postes m’ont été interdites", dénonce-t-il. Cet ex-footballeur, qui a grandi à Aubervilliers en banlieue parisienne, espérait un geste politique et des sanctions à l’encontre de son entourage professionnel. Mais il n’a reçu aucune réponse de l’Élysée. "J’ai été très loyal vis-à-vis de l’administration et j’ai respecté le droit de réserve malgré les souffrances et les humiliations", assure-t-il. Mais depuis hier, le diplomate peut enfin s’exprimer.

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Publiée le 12 mai sur le site du Nouvel Observateur, la missive adressée début mars à François Hollande ne devait pas sortir avant la publication de son ouvrage sur le Quai d’Orsay prévue au mois de septembre. "C’est finalement une bonne chose que les médias s’emparent de cette affaire. Je peux désormais exercer mon droit de citoyen", livre Kedadouche, satisfait.

Lors de son point hebdomadaire, ce mardi 13 mai, le porte-parole du Quai d’Orsay, Romain Nadal, a jugé "inacceptables" les attaques de Zaïr Kedadouche. "Les accusations graves de racisme et de discrimination portées par M. Kedadouche à l’encontre du ministère n’ont aucun fondement. Les inspections et évaluations menées régulièrement ne les ont jamais étayées." Selon le Quai d’Orsay, Zaïr Kedadouche n’aurait jamais fait état de ses récriminations à l’administration.

Kedadouche, lui, détaille les manoeuvres des membres du ministère des Affaires étrangères qui ont essayé de le faire changer d’avis. "Ils m’ont dit qu’ils étaient fiers de ce que je faisais et qu’ils trouveraient un poste à la hauteur de ce que je méritais", raille l’ex-ambassadeur. Après avoir refusé toutes les propositions, il a décidé de mener ce combat devant la justice. Le diplomate vient de déposer une plainte au procureur de la République pour comportements racistes et discriminations sociales. Il se dit également prêt à saisir la Cour européenne des droits de l’homme s’il n’obtient pas gain de cause.

"La dissidence doit s’organiser au sein des élites. J’en suis le pion", affirme Kedadouche. Fervent défenseur des personnes issues de l’immigration, le militant a rangé son costume d’ambassadeur pour endosser à nouveau celui d’inspecteur général de l’Education nationale, poste qu’il occupait déjà sous la présidence de Jacques Chirac. Il garde tout de même un regret. En envoyant un télégramme diplomatique pour justifier son départ, il n’a reçu qu’une seule réaction de ses désormais anciens collègues. "Les diplomates se taisent pour faire carrière", déplore-t-il, amer.

Par Emeline Wuilbercq
 

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