Nostalgie politique, quand tu nous tiens…

Les Africains ont-ils la mémoire courte ? Si sélective que des souvenirs patinés leur inspirent le regret d’autocrates déboulonnés ? Ici ou là, on entend s’exprimer la nostalgie d’un Kadhafi, d’un Ben Ali ou même d’un Bokassa…

L’oeil de Glez. © Glez

L’oeil de Glez. © Glez

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Publié le 8 mai 2014 Lecture : 4 minutes.

L’Homme est un éternel insatisfait. Il imagine souvent qu’il aimerait davantage ce qu’il n’a pas, quand bien même il désira exclusivement ce qu’il a. La femme du voisin n’est-elle finalement pas plus gironde et telle contrée n’est-elle pas un Eldorado à l’herbe plus verte ? L’humain devient même girouette lorsqu’il se met à lorgner sur ce qu’il a déjà eu et lui-même délaissé. En politique, symptomatiquement, les promesses bafouées conduisent aux aspirations les plus improbables, celles des extrémismes, mais aussi celle du retour des anciens régimes. D’ailleurs, n’est-ce pas la démocratie qui porte en elle les ressorts de son autodestruction, en offrant aux citoyens le choix de préférer ces dictatures dont elle les a délivrés et qui, elles, n’offraient justement aucun choix ?

N’est-ce pas la démocratie qui porte en elle les ressorts de son autodestruction ?

"Sous Ben Ali, c’est vrai qu’on ne pouvait pas s’exprimer, mais il y avait du travail pour tous", déclarait récemment un taximan tunisois. Luxe suprême de la parole libérée où l’on peut exprimer sa préférence d’une époque pendant laquelle on ne pouvait justement pas s’exprimer. Et voilà une société tunisienne en train de se demander s’il faut interdire aux figures du régime déchu l’accès aux candidatures pour les prochaines élections. Nantis d’une nouvelle constitution, les citoyens de la Tunisie républicaine devraient pouvoir voter pour les caciques du régime de Ben Ali.

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Ça ne devrait pas être le cas en Égypte où un tribunal des référés du Caire vient d’interdire aux pro-Moubarak de se présenter aux élections législatives. Hosni Moubarak déclarait  pourtant, en juillet 2013, que "le peuple a déjà choisi son président". Entendez par là "Abdelfattah Al-Sissi". Solidarité de militaires ou demande déguisée de grâce présidentielle ? Toujours est-il que le pouvoir d’Al-Sissi tient à distance ceux qui incarnèrent le pouvoir de Moubarak, alors même que certains présentent l’un comme le clone de l’autre. Ceci explique peut-être cela : on se méfie davantage de la concurrence de ceux qui nous ressemblent. Débat dérisoire ? Si l’on en croit l’ancien Premier ministre égyptien Hazem Beblawi, l’adhésion populaire au maréchal – pour peu qu’elle se vérifie dans les urnes – serait moins liée à une nostalgie des képis qu’au fait que Sissi est "un bel homme".

En Libye, c’est bien une forme de nostalgie qui anime une population terrorisée par l’idée d’un démantèlement de ce pays qui a du mal à conserver un Premier ministre. Des voix de plus en plus "autorisées" expliquent que c’était mieux du temps du Guide de la Jamahiriya. Et l’on évoque avec mélancolie un Mouammar Kadhafi tenant fièrement tête à ces puissances occidentales qui, aujourd’hui, ne cherchent même plus de poux dans les têtes libyennes qui n’intéressent personne, pas même Bernard-Henri Lévy. L’électricité dans l’air valait-elle mieux que la léthargie ? La patine du temps a le don de fabriquer les martyrs.

L’Afrique noire n’échappe pas à la rengaine illusoire du "C’était mieux avant".

L’Afrique noire n’échappe pas à la rengaine illusoire du "C’était mieux avant". Mais qui peut condamner un Congolais démocratique qui affirme que l’époque de Mobutu était celle "où il y avait à boire et à manger". Les chansons de Tabu Ley Rochereau étaient-elles plus mélodieuses que celles de Fally Ipupa N’Simba ? Le niveau de vie était-il formellement plus élevé ? La violence politico-militaire était-elle réellement moindre ? Les sakakàkas n’ont-elles plus le même goût ? Les flagrances de l’euphorie post-indépendance ont fini de diffuser cette dose de subjectivisme qui compromet le bilan du commun des mortels…

Anachronisme ? Nzanga Mobutu, "fils de", était candidat à la dernière élection présidentielle. Et si l’on peut regretter le fantasque Mobutu, le fantôme de l’ubuesque Bokassa aurait beau jeu de réclamer sa part de réhabilitation populaire. Dans une République centrafricaine meurtrie depuis le bras de fer Seleka vs Anti-balaka, les langues se délient peu à peu dans les rues. Aveuglement mélancolique ou nostalgie réfléchie ? Nombre de Centrafricains considèrent que le mégalomane empereur Jean-Bedel a érigé davantage de poteaux électriques et coulé plus de goudron que Kolingba, Patassé, Bozizé et Djotodia. On se  souvient ou relate les souvenirs d’aînés, ceux d’une armée stable et de salaires payés à l’heure.

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L’impression résisterait-il à l’audit ? Peut-être pas. Mais peut-être faut-il se résoudre à cette naturelle mélancolie, qu’elle soit une nostalgie malsaine, une tendance vintage stérile ou un gâtisme précoce. Elle tarde d’ailleurs de moins en moins à se manifester. Alors qu’on critique l’achat d’un nouvel avion présidentiel malien, les avis populaires laissent apparaître, en filigrane, un "c’était mieux sous ATT"…

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Par Damien Glez

 

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