Le Niger, sa politique de sécurité, ses voisins

Pays frontalier, entre autres, de la Libye, du Mali ou encore du Nigeria, le Niger est un acteur régional clé de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (Apsa). Explications.

Un soldat nigérien. © AFP

Un soldat nigérien. © AFP

Publié le 5 mai 2014 Lecture : 8 minutes.

Précédemment, nous avons détaillé les liens entre Niamey, Paris, Washington et l’Europe. Ceci étant dit, la politique de coopération en matière du sécurité du Niger n’est pas cultivée uniquement vis-à-vis de partenaires étrangers au continent africain. Nous l’avons vu, le Niger ne se défile pas face aux obligations qui sont les siennes, tout en ayant conscience que ces responsabilités ne peuvent être assumées correctement sans une aide étrangère prononcée. Abordons maintenant la question du Niger vis-à-vis des autres pays d’Afrique. Une caractéristique apparaît bien vite : en dépit du volume modeste de ses Forces de défense et de sécurité (FDS), l’État nigérien représente un acteur régional important de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (Apsa).

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L’insuccès Algérie

Ainsi, le pays est-il membre du Comité d’État-major opérationnel conjoint (Cemoc) créé à l’instigation de l’Algérie. Basé à Tamanrasset, la structure regroupe, outre le Niger, l’Algérie, le Mali et la Mauritanie. Malgré des efforts algériens afin de lui donner une "consistance", le Cemoc peine depuis sa création "opérationnelle", le 21 avril 2010, à atteindre les objectifs alors fixés. Chargé de faciliter la traque et la destruction des groupes terrobandits par le biais de forces que mettraient à sa disposition les pays adhérents, il reste assoupi lors de la chute du nord-Mali, début 2012. En théorie, le Cemoc devait disposer d’unités en propre : quatre ans plus tard, il n’en possède aucune.

En conséquence, en-dehors de réunions de cadres militaires par lequel la structure existe toujours, beaucoup d’observateurs considèrent qu’elle n’est qu’une coquille. Ils estiment aussi que l’Unité de fusion et de liaison (UFL) vaut à peine mieux. Installée à Alger, l’UFL est sensée favoriser l’échange de renseignements entre les pays intégrés, ainsi qu’au profit du Cemoc. Tout comme ce dernier, l’UFL ne démontre guère plus d’efficacité quand tombe le septentrion malien. Pour de nombreux analyste, Alger n’a mis en place les deux entités que pour contrer l’influence française au Sahel et lui substituer celle d’Alger…

Processus de Nouakchott, FAA et Caric

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Le Niger s’implique aussi, avec davantage de satisfaction, dans ce qui est nommé « le processus de Nouakchott ». Initié le 17 mars 2013, comme son nom l’indique, en Mauritanie, il répond à deux préoccupations du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA). À savoir : la question de la coopération sécuritaire entre États du sahel et ce qui est décrit comme « l’opérationnalisation de l’Architecture africaine de paix et de sécurité ». Incluant l’Algérie, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée, la Libye, le Mali, la Mauritanie, le Nigeria, le Sénégal et le Tchad, ainsi que des observateurs américains, britanniques, chinois, français et russes, il constitue un cadre de discussions au sujet de la coopération en matière de paix et de sécurité dans la région.

Niamey se montre volontaire quant à la constitution des outils indispensables à l’Apsa.

À ce titre, il rassemble des partenaires régionaux et internationaux : le Centre africain d’étude et de recherche sur le terrorisme (CAERT), le Cemoc, l’UFL, la Cedeao, le Comité des services de renseignements et de sécurité africains (Cissa) et enfin, l’ONU. Le 14 février 2014 a lieu la troisième réunion ministérielle du processus, à Niamey. Par ailleurs, le Niger met rapidement des forces à la disposition de la nouvelle Force africaine en attente (FAA). Dès 2008, une compagnie d’infanterie motorisée est affectée au Groupement tactique interarmes alors en cours de constitution pour l’Afrique de l’Ouest. Celle-ci est intégrée au bataillon d’infanterie multinational sous commandement nigérian, avec trois autres compagnies d’infanterie (Bénin, Sierra Leone, Togo).

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En 2009, la brigade de la FAA pour l’Afrique de l’Ouest comprend désormais un petit bataillon interarmes nigérien, articulé en une compagnie de commandement, d’appui et de soutien, d’un escadron blindé de reconnaissance et d’une compagnie d’infanterie motorisée, soit 507 hommes. Devant l’accumulation de retards pour l’organisation de la FAA, le Niger se porte volontaire pour affecter des troupes à la force d’intervention rapide, la Capacité africaine de réaction immédiate aux crises (Caric) qui à son tour prend du retard… Quoi qu’il en soit, c’est indéniable : Niamey se montre volontaire quant à la constitution des outils indispensables à l’Apsa.

Coopération avec les pays du Sahel

Autre pays concerné au premier chef par le terrobanditisme : la Mauritanie. De fait, les rapports sont bons avec le Niger. Le dialogue est fluide et constant entre les deux Présidents. Ainsi, début décembre 2013, Mahamadou Issoufou reçoit-il son homologue mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz. Les thématiques de la coopération dans les domaines du renseignement et de la sécurité sont cœur des discussions. L’entente est également correcte avec le Burkina Faso, dont l’attitude est pourtant plus ambiguë vis à vis des rebelles touaregs, puis des terrobandits, qui contrôlent le nord du Mali. Conjoncture favorable au règlement d’un vieux contentieux frontalier, avec l’abornement de la limite entre les deux territoires via GPS.

Tout n’est pas aussi idyllique avec la Libye. Loin de là.

Tout n’est pas aussi idyllique avec la Libye. Loin de là. D’une part, existe aussi un contentieux frontalier portant sur 25 000 km2 dans la région de Tommo. Zone dans laquelle Kadhafi envoya d’ailleurs des troupes quelques mois après s’être emparé du pouvoir. D’autre part, Niamey reproche à Tripoli de ne pas contrôler le sud de son pays. De là, les jihadistes et trafiquants s’infiltrent notamment sur le territoire nigérien. Le 23 mai 2013, deux actions terroristes surviennent simultanément à Arlit et à Agadez, provoquant la mort de 35 personnes (dont dix terroristes). Les autorités nigériennes indiquent que les auteurs venaient du sud de la Libye…

Cette impuissance du gouvernement libyen agace Niamey. Aux accusations quant à la provenance des fauteurs de troubles au Niger s’ajoute rapidement une "invitation polémique" lancée par Massoudou Hassoumi, ministre de l’Intérieur nigérien. Le 5 février 2014, il "suggère" à la France et aux États-Unis d’intervenir manu militari, sans délai, dans la partie méridionale de la Libye, avec ces mots : "(…) il est tout à fait légitime que la France (et) les États-Unis interviennent pour éradiquer la menace terroriste dans le sud de la Libye". S’il parle en son nom, le message trahit l’exaspération des dirigeants du Niger qui doivent gérer une situation née de la chute de Kadhafi, elle-même amenée par la France et ses alliés.

Attitude qui, évidemment, irrite Tripoli. En réponse, la Libye souligne que le Niger héberge l’un des fils de Kadhafi, refusant de l’extrader. Les autorités libyennes voient là un soutien implicite aux partisans du défunt dictateur qui contribuent à l’instabilité dans le pays. Finalement, à l’initiative du Niger, le climat acrimonieux s’apaise. Le 14 février 2014, Abdallah Mansour est extradé en Libye. L’homme est un des ex-responsables des services de renseignements de l’ex-"Guide" libyen et est suspecté de complicité dans un complot pour renverser le gouvernement de Tripoli… Moins d’un mois plus tard, c’est un geste encore plus significatif que fait Niamey en extradant Saadi Kadhafi, le 6 mars… Démarche qui devrait permettre l’instauration de meilleures relations avec ce voisin à l’avenir incertain.

Le cas particulier du Nigeria et de Boko Haram

Au sud, la secte Boko Haram représente à la fois un facteur d’instabilité et une source de tensions potentielles avec le Nigéria. En effet, Abuja reproche discrètement à Niamey de faire preuve d’un certain laxisme à l’encontre des rebelles islamistes radicaux. Deux bases arrières du mouvement sont d’ailleurs signalées dans le sud du Niger : l’une à Diffa et l’autre à Zinder. Malgré cela, le Niger préfère dans un premier temps se contenter de bloquer l’arrivée massive de combattants de la secte plutôt que d’entrer dans une logique de confrontation ouverte avec eux. Option pragmatique dictée par les limites des moyens disponibles. Et comment pourrait-il en être autrement ? Les FDS sont déjà extrêmement sollicitées aux frontières avec la Libye et avec le Mali, d’autres surveillent la frontière avec le Tchad (en collaboration avec des éléments français et tchadiens). N’oublions pas non plus qu’un bataillon, qui compte parmi les meilleurs éléments des Forces armées nigériennes (FAN) est déployé au Mali au sein de la Minusma.

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Or, ces moyens ne sont pas extensibles à l’infini. Si les FDS devaient mener un combat contre une guérilla aussi virulente que Boko Haram, cela compliquerait singulièrement la gestion du contrôle des frontières Nord (Libye) et Ouest (Mali). Ce même avec l’appui américano-français. L’on comprendra aisément que les FDS ne peuvent être partout, que des priorités doivent être considérées. Cependant, les choses sont complexes : Niamey ne peut pas non plus négliger la menace de Boko Haram d’autant que l’essentiel de l’électricité du Niger est produite au Nigeria… De plus, un autre différend frontalier avec Abuja ne simplifie rien.

En guise de compromis diplomatique, des patrouilles conjointes ont été organisées. Celles-ci sont menées dans le cadre d’un accord de défense signé en octobre 2012 entre les deux pays. Dans les faits, ce dispositif n’est pas très efficace : problèmes de langue, différences de procédures radios, de règles d’engagement…  Au moins ces patrouilles ont-elles le mérite d’exister. En outre, les services de renseignement nigériens ont un œil sur la secte, sur les individus susceptibles de la soutenir dans le pays. Vigilance dont le Niger ne peut s’affranchir.

Le risque serait de voir le sud du Niger se transformer en un véritable sanctuaire de Boko Haram.

Menace terroriste de Boko Haram

En effet, le risque qui se dessine si le Nigeria venait à intensifier plus encore sa lutte contre les fondamentalistes, serait de voir le sud du Niger se transformer en un véritable sanctuaire de Boko Haram. Bien davantage qu’aujourd’hui. Il serait alors impossible de les en déloger sans une aide extérieure importante. A ce titre, il importe de ne pas se focaliser uniquement sur la zone frontalière entre la Libye et le Niger (ce dont sont d’ailleurs conscients les États-Unis avec un œil sur la frontière sud du Niger) et d’empêcher dès à présent toute tentative d’implantation.

Les opérations audacieuses, d’envergure et sanglantes, menées par la secte au cours des semaines passées démontrent son "dynamisme". Dans ce contexte, le Niger est également une cible potentielle du terrorisme de Boko Haram, ainsi que l’illustre l’interpellation d’une vingtaine de ses activistes et sympathisants à Diffa, au sud-est du Niger, fin janvier 2014. Ils préparaient notamment des attentats à la bombe sur les marchés de la ville…

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>> Retrouver tous les articles du blog défense de Laurent Touchard sur J.A.

>> Pour en savoir plus : consulter le blog "CONOPS" de Laurent Touchard

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