Chansons caritatives : à votre bon coeur, mélomanes !
Inspirés par les réunions charitables d’artistes anglo-saxons dans les années 80, les chanteurs africains s’égosillent de plus en plus en groupes. Autour de causes désespérées. Ou gagnées d’avance…
Si la mode est aux “Flash mob”, ces mobilisations éclair initiées par Internet, les artistes africains se sont mis aux réunions improvisées autour d’œuvres caritatives. Il est vrai que, sur le continent, tout finit en chanson, qu’il s’agisse d’adapter un titre des Beatles pour dénoncer les délestages électriques sénégalais ou qu’il s’agisse de pasticher un tube de Stromae pour souligner l’énigmatique invisibilité du président algérien. Or la génération actuelle de stars africaines a été abreuvée au biberon de "We are the world", tissage de trémolos initié, dans les eighties, par Michael Jackson et Lionel Richie. La charité se mêle si bien avec l’autopromotion – être invité dans ces collectifs est autant la démultiplication d’une popularité qu’un appel au sacrifice – que les chanteurs africains auraient eu tort de s’en priver. D’autant que les causes qui justifient ces chorales d’un jour sont souvent africaines. 30 ans après le collectif USA for Africa, le continent est donc entré dans la danse des Africa for Africa. Ou plutôt dans son chant.
qu’importe le flacon de la bien-pensance pourvu qu’on ait l’ivresse d’un message indiscutable.
La semaine dernière, c’était une mobilisation en faveur de l’agriculture qui justifiait les vibrations bénévoles de célèbres cordes vocales. En cette année 2014 décrétée "de l’Agriculture" par l’Union africaine, le titre "Cocoa ‘na Chocolate" réunit 19 artistes africains, parmi lesquels Tiken Jah Fakoly, Femi Kuti, Rachid, Wax Dey ou encore Fally Ipupa. Objectif : inviter une jeunesse branchée à s’intéresser aux métiers de la terre peu à la mode mais susceptibles de sortir l’Afrique de son insécurité alimentaire chronique. "L’agriculture, ça paie", rappellent les ONG qui utilisent la chanson. La star Tiken Jah Fakoly ne souligne-t-elle pas qu’elle cultive elle-même la terre de ses parents dans son village du nord de la Côte d’Ivoire ?
Projets initiés par des artistes africains
Allergiques aux bons sentiments, s’abstenir ! Mais qu’importe le flacon de la bien-pensance pourvu qu’on ait l’ivresse d’un message indiscutable. Il y a quelques semaines, le Sénégalais Youssou Ndour et la Centrafricaine Idylle Mamba enregistraient un duo pour la paix en Centrafrique. Le titre "One Africa" suffisait à prendre la mesure sirupeuse d’un propos politiquement correct probablement stérile dans les oreilles d’un milicien tenté par le nettoyage ethnique. Mais les voix croisées d’un musulman et d’une chrétienne sont plus qu’un symbole. S’agirait-il d’une bonne publicité pour l’apprenti politicien et la chanteuse en manque de notoriété internationale ? Qu’importe. Les bénéfices collatéraux ne remettent pas en cause la démarche.
Dans ce concert de concerts, l’initiative se déplace. Traditionnellement, les artistes africains participaient à des projets initiés par des Européens au bénéfice de l’Afrique. De nos jours, les projets sont souvent initiés par les Africains et parfois en direction de causes d’autres continents. Bien sûr, en 2011, le Collectif Paris Africa – 60 artistes essentiellement français – s’attaquait à la crise nutritionnelle dans la Corne de l’Afrique en n’intégrant que quelques ressortissants du continent sur le titre "Des ricochets", au nombre desquels Alpha Blondy, Claudia Tagbo, Inna Modja ou Magic System. Mais c’est bien la Sénégalaise Coumba Gawlo Seck qui initia Afrik for Haïti en réunissant Manu Dibango, Papa Wemba, Lokua Kanza, Sékouba Bambino ou encore Oumou Sangaré.
Clip de soutien à Bouteflika
Qui a le cœur assez dur pour prétendre ne pas verser une petite larme en pensant aux victimes qui bénéficient de ces œuvres artistiques collectives ? Victimes de violences intercommunautaires, victimes de tremblements de terre, victimes de malnutrition, victimes d’accident vasculaire cérébral… Oui, vous avez bien lu, on chante aussi pour ceux qui ont souffert du joug de l’AVC.
Une soixantaine de personnalités n’enregistraient-elles pas, il y a quelques semaines, l’hymne "Notre serment pour l’Algérie", mélange de raï et de chaabi algérois [Voir ici l’interview vidéo de Cheb Khaled à ce sujet, NDLR]. Pas question de récolter des fonds pour un Institut de prévention des risques cardiaques. Le but était plutôt de récolter des suffrages pour le fauteuil roulant du candidat Bouteflika pourtant largement plus promu par les médias que les nécessaires recherches pour une maladie orpheline. Si les chansons caritatives ont dynamité récemment le concept africain de solidarité de proximité, elles n’ont pas effacé le goût pour le griotisme politique.
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Damien Glez
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