Algérie – Ali Benflis : « Mon principal adversaire est la fraude, et j’ai un plan pour la faire échouer »
Alors que tout semble joué d’avance pour le président algérien sortant, Abdelaziz Bouteflika, son principal adversaire, Ali Benflis, prévient d’ores et déjà que lui et ses partisans seront vigilants quant au bon déroulement du scrutin, jeudi. Balayant les accusations de « terrorisme », il annonce aussi quel sera son plan en cas de fraude électorale.
"Je ne me tairai pas…" Dans son bureau d’une villa mauresque sur les hauteurs d’Alger, le candidat Ali Benflis, 69 ans, enchaîne les rendez-vous avec les journalistes en répétant à satiété cette phrase comme un avertissement face à la fraude massive dont il soupçonne l’administration de vouloir accomplir au profit du candidat favori, le président sortant Abdelaziz Bouteflika.
Défait à la présidentielle d’avril 2004 avec un score humiliant de 6 % de voix contre 85 % pour le président Bouteflika, l’ancien chef du gouvernement, Ali Benflis, croit que, cette-fois-ci, la chance sera de son côté. "Je suis serein, confiant et optimiste pour sortir vainqueur des urnes jeudi 17 avril, confie-t-il. Ma grande crainte est encore une fois la fraude. En 2004, mon ennemi fut la fraude. Aujourd’hui, elle reste toujours mon seul adversaire. Je suis conscient que l’autre clan qui ne lésine sur aucun moyen pour me diaboliser et me discréditer fera tout ce qui est possible pour faire gagner le président-sortant, mais nous avons les moyens de les contrecarrer."
>> Lire aussi : Les accusations de fraude se multiplient avant la présidentielle
À la veille de cette présidentielle déterminante pour l’avenir de l’Algérie, Benflis se prête à l’exercice du bilan d’une campagne électorale tenue dans un climat extrêmement tendu.
Le projet que j’ai proposé aux Algériens a été reçu au-delà de toutes mes espérances.
"J’ai sillonné 48 wilayas (départements), tenu 105 rencontres et meetings, pris la parole devant des millions de gens, accordé 30 entretiens et cumulé 100 heures de vols, explique-t-il à Jeune Afrique. Le projet que j’ai proposé aux Algériens a été reçu au-delà de toutes mes espérances. Le temps est venu pour que l’Algérie change de tutelle, qu’elle amorce un renouveau démocratique. Je suis porteur de ce changement."
Dans le camp adverse, une éventuelle défaite du chef de l’État, 77 ans, candidat à un quatrième mandat malgré une santé chancelante, est tout simplement inimaginable. Hors de propos. Depuis le début de la campagne électorale qui aura duré trois semaines, les principaux lieutenants de Bouteflika qui le représentent par procuration défendent bec et ongles le bilan des 15 dernières années au pouvoir en misant essentiellement sur le facteur "stabilité" face au "chaos" qui menacerait le pays si d’aventure le président sortant venait à ne pas être réélu.
Face à la probabilité que le scrutin débouche sur un second tour, voire à une éventuelle victoire d’Ali Benflis, les adversaires de ce dernier décident de changer de stratégie en le ciblant directement. Bouteflika l’accuse ainsi devant le ministre espagnol des Affaires étrangères de "terrorisme à travers la télévision", ses partisans lui imputent des faits de violences et d’intimidations tandis qu’une partie de la presse arabophone, notamment le journal Ennahar et sa chaîne Ennahar TV, certifient que Benflis prépare un plan de soulèvement populaire en cas de défaite. Qu’en pense le principal concerné ?
"Ces accusations qui ne reposent sur aucune preuve, sur aucun fondement, dénotent un climat de panique et de peur, rigole Benflis. Ce président qui m’accuse de terrorisme, il était où quand le terrorisme fauchait des centaines d’Algériens par jour ? Durant la décennie rouge ou noire, appelez là comme vous voulez, je n’ai pas fait la traversée du désert mais la traversée de l’Algérie. Je le répète mon principal adversaire est la fraude et j’ai un plan pour la faire échouer."
Benfils sur ses gardes
Quid de ce plan ? Ali Benflis et son staff assurent qu’ils disposent de quelque 60 000 scrutateurs, des militants, des bénévoles et des membres de partis politiques et d’associations qui le soutiennent, pour surveiller les bureaux de vote. Dans le QG de campagne électorale du candidat, l’équipe a mis en place un dispositif pour réceptionner et centraliser les procès-verbaux originaux qui seront remis aux représentants des 6 candidats peu de temps après la fin des opérations de dépouillement. "Nous aurons les résultats définitifs du scrutin à partir de 22 heures, affirme Lotfi Boumghar, chargé de communication auprès du candidat Benflis. Certes, nous craignons que certains de nos scrutateurs fassent l’objet de pressions, de chantage, d’intimidations ou de tentatives de corruption, mais nous comptons sur leur dévouement et leur probité pour ne pas tomber dans le piège."
En cas de falsifications de documents officiels, l’opinion publique et internationale sera prise à témoin.
Au-delà de la fiabilité ou non de ce dispositif, la grande énigme qui intrigue Algériens et étrangers est de savoir si le candidat Benflis et son staff sont prêts à annoncer leurs propres résultats du scrutin dans la soirée du jeudi 17, voire tôt le lendemain, bien avant que le ministère de l’Intérieur ne les proclame officiellement au cours d’une conférence de presse qui sera tenue vendredi 18 avril. "Nous n’allons pas faire une annonce prématurée des résultats des urnes, précise Lotfi Boumghar. Nous sommes respectueux des lois et des institutions de la République. Dès lors que nous disposerons des PV originaux, la balle sera dans le camp de l’administration. En cas de falsifications de documents officiels, l’opinion publique et internationale sera prise à témoin avec des preuves."
>> Lire aussi : Ali Benflis, "La Constitution algérienne doit être revue en profondeur"
Mais après ? Ali Benflis exclut de recourir à la violence ou d’appeler ses soutiens à manifester dans la rue en cas de trucages dans les urnes. "Je ne suis pas un aventurier, dit-il encore. Je suis partisan du changement pacifique. Mais tôt ou tard, ce régime finira par partir parce qu’il a fait son temps, parce que les Algériens aspirent à une alternance démocratique, qu’ils ont soif de toutes les libertés, et parce qu’ils sont convaincus que l’heure du changement est arrivée."
Certes. Mais comment envisage-t-il son avenir dans l’immédiat ? Quelles suites compte-t-il donner aux résultats qui sortiront jeudi 17 avril ? Défait à la loyale, Ali Benflis reconnaitra la victoire de son adversaire, confie un de ses conseillers. Il organisera une conférence de presse le lendemain du vote pour féliciter le vainqueur, confie un de ses conseillers. Et en cas de fraude avérée ? "Il ne reconnaitra pas le président élu, poursuit le même conseiller. Nous allons organiser une contestation permanente mais pacifique. Il n’est pas exclut que nous revendiquions une élection présidentielle anticipée."
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