Thierry Téné : « Une entreprise responsable, c’est une entreprise rentable »
Pour Thierry Téné, promoteur de la RSE sur le continent, les choses sont claires : il ne s’agit pas de philanthropie, mais d’un outil de performance et de compétitivité.
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En 2006, Thierry Téné a créé A2D Conseil. Spécialisée dans l’expertise, le conseil et la formation sur le développement durable, cette société a notamment organisé à Paris, en 2009, un forum sur le « green business et l’investissement en Afrique ». Un tournant qui a conduit ce Camerounais de 34 ans à cofonder l’Institut Afrique RSE deux ans plus tard, à Lille (France) – il sera délocalisé à Douala d’ici à la fin de l’année. Depuis, en partenariat avec une organisation patronale africaine, Thierry Téné organise chaque année le Forum international des pionniers de la RSE en Afrique, qui ambitionne de devenir la plateforme de référence de l’économie responsable sur le continent.
Jeune Afrique : Où en est le continent en matière d’économie responsable ?
Thierry Téné : La RSE est en train de s’y construire, portée par l’émergence de l’Afrique, le potentiel d’investissement qu’elle représente et l’intensification de la concurrence. La classe moyenne est de plus en plus sensible aux questions environnementales et sociales ainsi qu’à celle du partage des richesses. Aujourd’hui, les entreprises jouent sur ces critères, dans le droit fil des principes directeurs de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] et des législations nationales, selon lesquels la RSE doit être prise en compte au siège des multinationales, mais aussi dans leurs filiales et tout au long de la chaîne de valeur.
Certaines régions sont-elles plus en pointe que d’autres ?
Globalement, l‘Afrique anglophone a une longueur d‘avance. En Afrique francophone, il y a un début de dynamique : la Côte d‘Ivoire a ainsi créé une direction de la RSE et de l‘économie verte au sein du ministère de l‘Environnement et du Développement durable, et le Cameroun envisage d‘élaborer des politiques publiques adaptées.
La responsabilité sociétale s’impose-t-elle progressivement aux entreprises africaines ou demeure-t-elle l’apanage des multinationales ?
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Elle s’impose de plus en plus aux filiales des multinationales. Sa mise en œuvre ne se limite plus au périmètre de l’entreprise, elle s’étend désormais à la chaîne d’approvisionnement. Les entreprises africaines, sous-traitants ou fournisseurs de ces multinationales, sont donc contraintes de l’adopter. La concurrence pousse également les PME à s’y intéresser. Mais il reste un long chemin à parcourir avant qu’elle ne soit intégrée dans les business models et les pratiques quotidiennes d’entreprises où le simple respect des lois n’est pas toujours la norme…
Comment lancer cette dynamique, sachant que, dans l’ensemble, les États s’en désintéressent et que les syndicats sont assez faibles ?
Il faut absolument encadrer la RSE sur le continent. Il est urgent que les États africains s’impliquent dans cette démarche, en commençant par faire respecter les lois fiscales, sociales et environnementales. Des réglementations ont bien été adoptées en ce sens, mais l’éternel problème reste l’absence de moyens humains, financiers et matériels pour en assurer l’application. L’autre levier d’action, c’est le secteur privé, via les organisations patronales : le Gicam au Cameroun, la CGEM au Maroc, la Conect en Tunisie, la CGECI en Côte d’Ivoire ainsi que la Fédération des employeurs de l’île Maurice ont créé des commissions sur la RSE et prennent des initiatives en ce sens.
À quelles difficultés le concept se heurte-t-il sur le continent ?
À des contraintes spécifiques telles que la compréhension de cette notion, trop souvent assimilée à de la philanthropie alors qu’il s’agit d’un outil de performance et de compétitivité pour les entreprises africaines dans une économie mondialisée. Il est ensuite nécessaire d’adapter le concept aux profils des entreprises, qu’il s’agisse de multinationales, de grands groupes, de PME ou de TPE. Enfin, et c’est une question centrale sur le continent, le secteur informel doit être pris en compte, car il est partie prenante des chaînes d’approvisionnement et de distribution.
Qu’est-il ressorti des différents forums consacrés à ce thème ?
La deuxième édition du Forum international des pionniers de la RSE en Afrique, qui s’est tenue en novembre 2012 à Tunis, a abouti à l’adoption d’un manifeste sur la RSE qui insiste sur la prise en compte de l’économie informelle et sur l’ancrage territorial. Adopté lors de sa première édition, en 2011, le manifeste de Douala avait quant à lui mis l’accent sur les politiques publiques de RSE et le besoin de formation. La troisième édition du forum, qui aura lieu les 27 et 28 novembre à Accra, va insister sur l’apport de la RSE à la transformation structurelle du continent.
Quelle est la meilleure marche à suivre pour structurer la RSE sur le continent ?
Commencer par établir un diagnostic à partir des questions centrales que sont la gouvernance, les conditions de travail, les droits de l’homme, l’environnement, les bonnes pratiques dans les affaires, le développement local, etc. Puis mettre en œuvre quelques préconisations très rentables à court terme pour l’entreprise, afin de réaliser des économies d’énergie et de matières premières, de réduire les accidents du travail et d’améliorer l’accessibilité à de nouveaux marchés grâce au social business… Progressivement, on élargit le déploiement de la RSE dans l’entreprise en capitalisant sur les résultats déjà obtenus. Démontrer qu’une entreprise responsable est une entreprise rentable : voilà le défi qui attend les acteurs africains de la RSE.
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