Abakar Sabone : « La guerre avec les anti-balaka commence » en Centrafrique
Ex-conseiller spécial de l’ancien président Michel Djotodia, Abakar Sabone a créé un nouveau mouvement sur les ruines de l’ancienne rébellion Séléka, l’Organisation de la résistance musulmane centrafricaine (ORMC). Interrogé par « Jeune Afrique », il met en garde la France contre toute tentative de désarmer ses hommes. Interview exclusive.
Cofondateur du mouvement rebelle UFDR (Union des forces démocratiques pour le rassemblement), Abakar Sabone fut l’un des premiers cadres de la Séléka à évoquer les risques d’une partition de la Centrafrique. Depuis la région de la Vakaga (Nord-Est) où il se trouve, celui qui fut le conseiller spécial de l’ancien président Michel Djotodia réitère ses menaces et annonce à Jeune Afrique la création de l’Organisation de la résistance musulmane centrafricaine (ORMC), un mouvement érigé sur les ruines de l’ex-rébellion.
Jeune Afrique : Que s’est-il passé à Dékoa, où des ex-Séléka ont affronté des anti-balaka, le 8 avril ?
Abakar Sabone : Les anti-balaka ont attaqué nos positions alors que nous étions cantonnés. Nous avons ripostés. La guerre avec les anti-balaka commence.
L’armée française a annoncé vouloir se déployer dans le Nord-Est. Le redoutez-vous ?
Les soldats français sont venus à Bambari il y a une semaine, puis à N’Délé et Bria le 6 avril. Ils ont tenté de désarmer nos combattants, mais nous avons refusé. Les Français sont ensuite repartis avec certains de nos généraux qui ont accepté de faire la paix avec les anti-balaka. Mais ces généraux, comme Issa Issaka, ne commandent rien.
Pourquoi refusez-vous d’être désarmé ?
Notre but est de regrouper tous les musulmans centrafricains dans la Vakaga où ils doivent élire domicile.
Si la France nous désarme, les anti-balaka nous massacreront. Cela doit intervenir dans un processus précis, celui du DDR (Désarmement, démobilisation, réintégration). Dans le cas contraire, nous répondrons par la force et la France en sera responsable. C’est la consigne que nous avons donnée à nos combattants. Si "Sangaris" cherche à favoriser les anti-balaka en désarmant les combattants musulmans pour qu’ils se fassent massacrer, nous rendrons la Centrafrique ingouvernable. Ce sera alors la "somalisation" de la RCA. Dans Bangui, les anti-balaka sont armés au vu et au su des militaires français de l’opération Sangaris. À Boda (située dans la préfecture du Lobaye), ils encerclent 15 000 musulmans. Nous ne comprenons pas ce "deux poids deux mesures".
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Où se trouvent les combattants de l’ex-Séléka ?
Il en reste quelques-uns cantonnés dans Bangui. D’autres sont à Kaga-Bandoro, à Sidot, à Kabo. La grande majorité se trouve dans le Nord-Est, précisément dans la région de la Vakaga. Mais, aujourd’hui, la Séléka n’existe plus. Nous nous sommes regroupés au sein de l’Organisation de la résistance musulmane centrafricaine (ORMC). Nous avons organisé notre congrès il y a un mois à Boromata (localité du Nord-Est où se trouve l’un des gisements pétroliers, NDLR). Notre but est de regrouper tous les musulmans centrafricains dans la Vakaga où ils doivent élire domicile.
Aujourd’hui, le conflit est confessionnel. La partition de la RCA dépend de la France.
Vous réitérez donc les menaces de partition que vous aviez proférées il y a quelques mois…
Mais la partition existe déjà de fait. Les musulmans ne peuvent plus vivre dans le sud du pays. Le conflit centrafricain n’est plus entre anti-balaka et Séléka mais entre anti-balaka et musulmans. Les données ont changé depuis la démission de Michel Djotodia. Si certains ne veulent plus de musulmans en RCA, c’est notre droit de résister par les armes. C’est pourquoi nous avons créé l’ORMC. Aujourd’hui, le conflit est confessionnel.
La partition de la RCA dépend de la France. Si Paris joue un franc jeu avec toutes les entités de la population centrafricaine, alors nous jouerons le jeu de l’unité de la RCA. Mais dans le cas contraire, la partition sera inévitable.
Respectez-vous le choix des quelques membres de la Séléka qui sont restés à Bangui et/ou sont membres du gouvernement ?
Ce choix n’engage qu’eux, nous n’avons rien à leur reprocher. Mais ils ne représentent ni l’ORMC, ni la communauté musulmane.
De combien d’hommes armés disposez-vous ?
Entre 4 et 5 000 hommes. Mais tous les musulmans, de 18 à 60 ans, sont appelés à se joindre à nous pour que nous imposions notre droit.
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Vous avez évoqué un risque de somalisation. Êtes-vous prêt à vous allier à des groupes extrémistes comme les Shebab ou Boko Haram ?
Nous n’avons aucun lien avec ces organisations. Nous sommes aujourd’hui capables de résister sans elles. Jusqu’à aujourd’hui, aucune force armée musulmane n’a affronté les anti-balaka. Mais d’ici un mois, si la conférence nationale n’est pas organisée, si les anti-balaka ne sont pas désarmés, nous prendrons nos responsabilités.
Dans ce contexte, c’est désormais la politique du talion qui prévaut : œil pour œil, dent pour dent.
C’est-à-dire ?
Nous descendrons vers Bangui et nous nous imposerons par les armes. Nous avons laissé le temps à la communauté internationale de trouver une solution pacifique. Maintenant, nous allons trouver une solution à la centrafricaine. Dans ce contexte, c’est désormais la politique du talion qui prévaut : œil pour œil, dent pour dent.
Selon certaines sources, vous vous seriez rendu dans le nord du Nigeria, il y quelques semaines, pour rencontrer Nourredine Adam…
Absolument pas. Je n’y suis jamais allé.
Que pensez-vous du départ des forces tchadiennes ?
C’est une très mauvaise nouvelle pour la Centrafrique et pour la communauté internationale. Le Tchad est au chevet de la RCA depuis 1995. C’est grâce à l’armée tchadienne que les mutineries ont été arrêtées. En 2001, aussi, le Tchad a libéré le peuple centrafricain. Sous Bozizé, l’armée tchadienne composait sa sécurité rapprochée. Aujourd’hui, elle est devenue un mal pour la République centrafricaine. C’est inadmissible. Nos deux États ont un lien de sang. À l’époque de l’Oubangui, ils ne formaient qu’un seul et même pays.
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Par Vincent DUHEM
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