Mali : la vie des génocidaires rwandais à la prison de Koulikoro
Condamnés à Arusha pour génocide, quelques Rwandais purgent leur peine depuis 2001 dans la prison de Koulikoro, à 57 km de Bamako, la capitale malienne. Là-bas, ils sont considérés comme des détenus pas ordinaires…
Où sont détenus les génocidaires condamnés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPI) d’Arusha ? Sur le continent, trois pays, le Botswana, le Bénin et le Mali, font partie des pays africains ayant accepté de les recevoir. Les génocidaires y purgent leur peine, notamment dans la prison malienne de Koulikoro où est détenu le colonel Théoneste Bagosora, alias le "Heinrich Himmler du Rwanda", l’un des principaux instigateurs du génocide des Tutsis en 1994.
La prison de Koulikoro (à 57 km de la capitale), située à l’entrée de cette ville de garnison, est une vieille bâtisse des années 1970, construite sur un terrain de plusieurs hectares entouré d’un haut mur de pierres. Quelque 250 prisonniers y sont détenus, dont les Rwandais qui y bénéficient d’un régime spécial et sont logés séparément dans une partie rénovée de la prison grâce à un financement de l’ONU. Condamnés à perpétuité ou à de longues peines, la plupart sont des hommes âgés. Il termineront vraisemblablement leur vie en détention.
"Ce sont des prisonniers très disciplinés, ils ne dérangent personne et respectent scrupuleusement le règlement", affirme un surveillant.
Bagosora, "l’un des cerveaux" du génocide
Au milieu de la cour en graviers, le colonel Bagosora semble en bonne forme, sous des apparences de paisible grand-père. Cacique militaire du régime hutu au moment du génocide, c’est lui qui aurait déclaré dès 1993 vouloir "préparer l’apocalypse" dans son pays face aux avancées de la rébellion tutsie.
Membre de l’Akazu, cercle restreint d’extrémistes hutus qui ont planifié le génocide, Bagosora est considéré comme l’un des "cerveaux" de cet holocauste africain qui fit au moins 800 000 morts en quatre mois, d’avril à juillet 1994, en grande majorité des Tutsis.
Dans la cour de la prison, on reconnaît aussi l’ancien Premier ministre du gouvernement intérimaire pendant le carnage, le frêle Jean Kambanda, le visage mangé par une large barbe noire.
Le quartier des "TPIR" comme on les surnomme à Koulikoro, est composé de chambres avec douche, d’une salle de réfectoire et d’une bibliothèque.
Les prisonniers rwandais ont pour la plupart été condamnés à perpétuité pour "crimes contre l’humanité, complicité de crimes contre l’humanité, ou génocide", explique un autre gardien, qui rappelle qu’il est "formellement interdit de s’adresser à ces détenus sans autorisation officielle".
Traitement privilégié pour les "TPIR"
Ils vivent dans de meilleures conditions que les prisonniers ordinaires : le quartier des "TPIR" comme on les surnomme à Koulikoro, est composé de chambres avec douche, d’une salle de réfectoire et d’une bibliothèque.
Les prisonniers rwandais peuvent en outre recevoir des visites, leurs repas sont meilleurs que ceux servis aux autres détenus et ils reçoivent deux dollars (près de 1,5 euro) par jour pour pouvoir acheter des journaux, selon la direction de la prison. Un traitement de faveur dénoncé comme "une vie de luxe" par certains médias rwandais.
Les dirigeants de la prison soulignent par ailleurs que certains de ces prisonniers pas comme les autres disent regretter "ce qui est arrivé au Rwanda". Quelques-uns réclament "justice, pour toutes les victimes sans exception", Tutsis et Hutus, reprenant là l’un des habituels slogans des opposants au nouveau régime rwandais.
Dans une lettre adressée en 2010 au Conseil de sécurité de l’ONU, ils avaient déjà demandé "justice" pour "les crimes commis contre les Hutus" en RDC – où ils s’étaient enfuis juste après le génocide – crimes commis par l’ex-rébellion du Front patriotique rwandais (FPR) dont est issu l’actuel président du Rwanda, Paul Kagamé.
En attendant, à Koulikoro, très peu d’habitants savent que des détenus rwandais purgent leur peine dans la prison de leur ville. "Moi, je sais qu’ils sont ici, mais je ne sais pas si un jour dans ce pays ils pourront s’entendre, car j’ai l’impression qu’entre les Hutus et les Tutsis, la haine n’est pas terminée", estime Gilbert Koné, professeur au lycée de Koulikoro.
Vingt ans après les faits, une poignée de condamnés ont bénéficié d’une remise de peine et vivent aujourd’hui en liberté au Mali, mais ne veulent pas rentrer au Rwanda. L’un d’eux, libéré après plus de douze ans de détention, a refusé catégoriquement de révéler son identité, car il ne veut pas "recevoir une balle dans la tête". "Le chemin de la réconciliation est long chez nous. (…) Je suis libre aujourd’hui, mais je ne peux pas rentrer à Kigali, parce que c’est la prison, sinon la mort, qui m’attend", a-t-il confié. Il accuse le président Kagamé de vouloir "continuer à faire dominer les Hutus majoritaires par les Tutsis minoritaires".
Au ministère malien de la Justice, on se refuse à rentrer dans des considérations ethno-politiques. Amadou Sango, de l’Administration pénitentiaire, se borne à affirmer que "si le Mali fait partie des pays retenus pour accueillir des condamnés du TPIR, c’est parce que les droits de l’homme y sont respectés".
(Avec AFP)
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