Contrebande d’essence : tensions après la fermeture d’un poste frontalier en Tunisie

Depuis trois semaines, les habitants de Ben Guerdane, dans le sud-est de la Tunisie, s’opposent à la fermeture du poste frontalier de Ras Jedir, haut lieu de contrebande de carburant libyen. Un trafic lucratif pour la population locale.

Contrôle d’un conducteur à un poste de frontière près de Ben Guerdane, le 27 février 2012. © AFP

Contrôle d’un conducteur à un poste de frontière près de Ben Guerdane, le 27 février 2012. © AFP

Publié le 3 avril 2014 Lecture : 3 minutes.

Ils sont en colère parce qu’ils ne peuvent plus passer du carburant libyen de la contrebande. Depuis trois semaines, les habitants de Ben Guerdane, dans le sud-est de la Tunisie, s’insurgent contre la fermeture du poste frontière de Ras Jedir, principal point de passage entre leur pays et la Libye, mais aussi un haut lieu de leur trafic lucratif.

Des manifestations se multiplient dans la ville, paralysée depuis le 1e avril par une grève générale. Mercredi, l’antenne locale du puissant syndicat UGTT a été saccagée, des manifestants reprochant à l’organisation de ne pas soutenir la grève. L’UGTT a condamné une "agression commanditée" et assuré soutenir les revendications des habitants.

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Soixante-sept véhicules saccagés

Le conflit a été exacerbé, selon les protestataires, après la destruction par l’armée tunisienne de véhicules de contrebandiers la semaine dernière, qui avaient emprunté des pistes à travers le Sahara tunisien. "Ils emmenaient des hydrocarbures depuis la Libye sans problème avant la fermeture du poste, mais ils ont changé d’itinéraire. Et comme les pistes sahariennes qu’ils empruntent maintenant se trouvent dans la zone militaire, les forces armées ont saccagé 67 véhicules", a expliqué Ridha Mahdi, président de l’association de fraternité tuniso-libyenne. Une opération que les militaires n’ont pas confirmée.

Selon Ridha Mahdi, "les gens n’ont plus de quoi vivre" depuis la fermeture de Ras Jedir. "On nous laisse passer, puis au retour on nous agresse et on saccage parfois nos voitures", a dénoncé Ali, un contrebandier.

Une source de sécurité, préférant garder l’anonymat, a souligné que le trafic était lucratif aussi pour les douaniers, qui touchent leur dîme à chaque passage. "Les contrebandiers passent par le poste de Ras Jedir et payent des pots-de-vin ou même ‘louent’ les voitures des douaniers pour pouvoir faire deux ou trois voyages par jour", a confié ce responsable.

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Des bénéfices

Si les produits alimentaires et produits manufacturés suivent le même chemin, l’essence permet d’engranger les plus grands bénéfices. Acheté à 145 millimes le litre en Libye, soit à peine 8 centimes d’euros, le carburant est revendu à Ben Guerdane pour quelque 50 centimes, une marge substantielle, avec un prix restant toujours inférieur de 30 % au tarif à la pompe.

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Selon un rapport publié en décembre 2013 par la Banque mondiale, le commerce informel, qu’il soit avec la Libye à l’est ou l’Algérie à l’ouest, coûte à la Tunisie chaque année au moins 1,2 milliard de dinars, soit un peu moins de 600 millions d’euros.

D’après la même source, quelque 328 000 tonnes de produits de contrebande passent par le poste de Ras Jedir chaque année, et 20 % de la population active de Ben Guerdane vit exclusivement de ce commerce qui "représente plus de la moitié des échanges bilatéraux avec la Libye".

Ces trafics sont devenus une soupape de sécurité dans un pays miné par le chômage et la misère. Une situation qui s’est empirée après la révolution tunisienne et la guerre en Libye.

Rôle social de la contrebande

"Ce type de commerce a un rôle économique et social important dans les zones frontalières, le commerce informel étant l’une des activités économiques les plus importantes", a reconnu la Banque mondiale.

"La majorité des habitants de Ben Guerdane vit de la contrebande, ce n’est pas un secret et on n’arrêtera pas de la pratiquer tant qu’il n’y a ni usines ni projets pour créer des postes d’emploi", renchérit Khalifa, un fonctionnaire qui préfère taire son nom de famille.

Mais qui a décidé de fermer ce poste frontalier ? Selon Tunis, ce sont les autorités libyennes. Mais Tripoli explique que la fermeture a été décidée "d’un commun accord", en attendant de "garantir la sécurité des Libyens qui ont été la cible de violences" en Tunisie.

(Avec AFP)

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