Royaume-Uni : les Frères musulmans risquent-ils vraiment l’interdiction ?
Le premier ministre britannique, David Cameron, a ordonné une enquête sur les Frères musulmans, laissant présager, selon certains journaux, une interdiction de la confrérie au Royaume-Uni. Mais qu’en est-il vraiment ? Quid des liens entre les islamistes et les groupes extrémistes qui sévissent en Égypte ? Éléments de réponse.
Mis à jour le 02/04/2014 à 19H43.
"La Grande-Bretagne se dirige vers l’interdiction de l’organisation des Frères musulmans", titrait en arabe le site de la chaîne satellitaire Al-Arabiya, le 1er avril. Théoriquement indépendant, ce média saoudien contrôlé par le prince milliardaire Waleed Al Ibrahim reste un important vecteur d’influence du royaume. Tel titre reflèterait-il le vœu de Riyad, qui, dans les pas du Caire, a classé la confrérie sur sa liste des organisations terroristes le 7 mars ? L’article du quotidien britannique le Times dont est tiré le papier d’Al-Arabiya annonçait avec plus de modération ce 1er avril : "Le Premier ministre demande une enquête sur les liens des Frères musulmans avec le terrorisme". Et le porte-parole de Downing Street lui-même cité par le Times évoquait pour sa part "une évaluation, menée en interne par le gouvernement, sur la philosophie et les activités des Frères musulmans, et sur la politique du gouvernement vis-à-vis de l’organisation". Celles-ci pourrait-elle se voir classer terroriste et interdire en Grande-Bretagne ? "Possible mais peu probable" ont répondu de hauts fonctionnaires, nuançant ainsi nettement l’affirmation d’Al-Arabiya. Pour les autorités, il s’agit donc de mieux connaître la structure et les objectifs de la confrérie, et de vérifier les allégations accusant les Frères d’utiliser le territoire britannique pour mener en sous-main des opérations terroristes à l’extérieur.
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Certes, il est annoncé que l’enquête inclura une évaluation par les renseignements extérieurs britanniques d’assertions selon lesquelles la confrérie était derrière l’attentat contre un bus de touristes qui a coûté la vie à trois touristes coréens et au chauffeur en février en Égypte, ainsi que d’autres attaques dans ce pays. Mais l’attentat contre le bus a été revendiquée par un groupe extrémiste affilié à Al-Qaïda et retranché dans le Sinaï, Ansar Beit al-Maqdis (ABM). Ces jihadistes purs et durs ont aussi revendiqué la plupart des attentats et des assassinats de soldats et de policiers qui se sont multipliés après la destitution par l’armée du président Frère musulman Mohammed Morsi. Et le nouveau régime de dénoncer systématiquement la responsabilité des Frères dans les attentats. Le 25 décembre 2013, les autorités égyptiennes décidaient de classer les Frères parmi les organisations terroristes, le lendemain de l’explosion d’une voiture piégée qui avait fait 16 victimes, et avait été revendiqué par ABM. Faut-il penser, comme Le Caire, que l’organisation jihadiste prend ses ordres auprès de la confrérie ? La presse égyptienne, plutôt complaisante avec le pouvoir, a rapporté des rencontres entre des dirigeants d’ABM et le leader Frère Khairat al-Chater mais les preuves matérielles indiscutables font défaut. "Y a-t-il eu des négociations directes ou indirectes ? C’est plausible, affirme le chercheur associé au Collège de France Tewfik Aclimandos. L’enregistrement d’une conversation entre l’ex-président Morsi et le n°1 d’Al Qaïda, Ayman al-Zawahiri, qui a été publié est a priori authentique. Et je suis tout à fait en désaccord avec ceux qui affirment que les Frères n’ont pas la carte violente dans leur logiciel, même si beaucoup d’entre eux ont renoncé à la lutte armée".
Beaucoup d’hypothèses…
Directeur du projet Égypte/Syrie/Liban à l’International Crisis Group, Peter Harling expliquait dans un article publié en janvier sur le site OrientXXI : "La confrérie se perçoit et conçoit ‘son’ Égypte comme le porte-drapeau de ses homologues islamistes à travers la région, des alliés naturels qui doivent être acceptés, soutenus et dirigés. Cela s’est traduit tantôt par une complaisance irresponsable envers les militants basés dans le Sinaï, tantôt par un soutien affiché au jihad en Syrie". Alors Frères et jihadistes : indifférence, complaisance, connivence ou alliance ? Les 25 et 26 mars, le journaliste égyptien Ahmed Eleiba publiait deux articles sur le site Al-Ahram Weekly aux titres éloquents, "Réseaux de la terreur" et "Cartographier la confrérie" qui font le point sur ce qu’il est possible de savoir, en Égypte, sur les connections des Frères et des réseaux jihadistes. Deux intéressants papiers, bien documentés, citant une pléthore de membres de l’armée et des services, de spécialistes des mouvements radicaux, d’ex-membres de la confrérie ou de groupes plus fondamentalistes. Mais qui n’émettent que des supputations au conditionnel, des hypothèses ou des déductions telle que "Comment si peu d’agents (les 14 du groupe d’ABM démantelé le 19 mars) ont pu mener tant d’opérations ? (…) Comment une telle quantité d’explosifs (5 tonnes retrouvées sur place) a pu être convoyée si facilement ?". Réponse : seule la machine des Frères a pu le permettre.
Il est indiscutable que nombre de jeunes Frères, qui ont vu leur camarades fauchés par la mitraille policière, aient pu se radicaliser.
Des arguments sans doute peu probant pour les services secrets de Sa Majesté britannique. Il est par contre indiscutable que nombre de jeunes Frères, qui ont vu leur camarades emprisonnés ou fauchés par la mitraille policière, aient pu se radicaliser et se tourner vers la lutte armée, rejoignant des groupes radicaux. Selon Tewfik Aclimandos, la confrérie se partage en trois groupes, "ceux qui acceptent la situation politique actuelle et sont prêt à négocier, les attentistes et ceux qui sont hantés par la violence". Mais le basculement dans le terrorisme de certains éléments du dernier groupe suffirait-elle aux enquêteurs britanniques pour établir la réalité de relations organiques entre la confrérie et les mouvements extrémistes ? Peu probable. Dans un des articles d’Ahmed Eleiba, un "ex-fonctionnaire et expert de haut niveau sur le renseignement égyptien" affirme que, d’ores et déjà, a été accumulée "une masse énorme d’informations" sur les agissements terroristes des Frères. De quoi faire interdire les organes de la confrérie établie au Royaume-Uni qui s’alignerait ainsi sur l’Arabie saoudite et les Émirats, mais aussi sur la Syrie et la Russie ? La réponse n’est pas attendue avant plusieurs mois. Pour sa part, une source spécialiste de l’islam au Moyen-Orient basé dans l’île voit dans l’annonce de Downing Street, les effets d’"un gros lobbying des Saoudiens et Émiriens, dont dépendent au bas mot des milliers d’emplois britanniques".
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