France : les jeunes candidats au jihad sont-ils les victimes d’une « dérive sectaire » ?
Le salafisme jihadiste s’apparente-t-il à une dérive sectaire, à une instrumentalisation du religieux à des fins politiques ? Devant la multiplication des cas de jeunes-filles en rupture sociale et familiale, la Miviludes tire la sonnette d’alarme et les autorités françaises se saisissent de la question.
La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a récemment lancé l’alerte face à un phénomène de radicalisation religieuse en France. Une première pour cet organisme qui, jusque là, demeurait silencieux sur le sujet. "Depuis quelques mois, nous sommes contactés par des parents qui nous signalent que leurs filles se couvrent de la tête au pied, ont coupé les liens avec leurs familles et ont quitté le lycée", constate Serge Blisko, président de la mission qui tient à rappeler que, dans ces cas précis, il s’agit plus de "radicalisation" que de "dérive sectaire".
Si le celui-ci fait la distinction entre les deux termes, c’est que le premier, à la différence du second, ne relève pas d’une dynamique de groupe mais s’applique seulement à un seul individu. "Pour le cas de ces jeunes filles, il n’y a pas de processus, de deuxième étape qui les conduirait vers un potentiel départ en Syrie pour rejoindre d’autres groupes ou vers la violence. Pour l’instant, il n’y a pas de signes qui vont dans ce sens", précise Serge Blisko.
De son côté, Dounia Bouzar, anthropologue et auteur de "Désarmorcer l’islam radical", souligne un nouvel aspect de l’embrigadement jihadiste qui a commencé à émerger en raison notamment de l’apparition d’internet. "La radicalité des religions a toujours existé, mais depuis quelques années, on assiste à une nouvelle forme de radicalité de l’islam, qui mélange l’aspect virtuel d’internet et les techniques des dérives sectaires. En témoignent les divers vidéos Youtube faisant la propagande du jihad et la récente condamnation du cyberjihadiste Romain L., alias Abou Siyad Al-Normandy, condamné à un an de prison pour apologie et provocation au terrorisme après avoir publié une revue d’Al-Qaïda sur le net.
Phénomène de rupture sociale
Comme le souligne Dounia Bouzar, "98% de l’endoctrinement se passe via la Toile et ce n’est qu’une fois que l’emprise mentale a commencé que les jeunes se rencontrent physiquement". La Miviludes complète la comparaison. "Dans le cas de ces jeunes filles, il s’agit d’un phénomène voisin de la dérive sectaire parce qu’ils ont en commun ce critère : la coupure familiale ou sociale mais ça s’arrête là", précise Serge Blisko. Une coupure que mentionne également Dounia Bouzar : "Lorsque je parle de dérives sectaires, c’est tout simplement parce que dans le discours de l’islam radical, la religion est utilisée pour mettre le jeune en rupture aux niveaux scolaire, social, amical et familial".
Un constat fait également par Mathieu Guidère, spécialiste des mouvements islamistes pour qui le jihadisme comporte plusieurs aspects sectaires : la rupture avec l’environnement, l’embrigadement et une doctrine spécifique qui réduit la religion au seul salafisme jihadiste. Mais l’islam radical possède aussi un véritable programme et un agenda politiques. "Dans ces circonstances, souligne Mathieu Guidère, il faut distinguer deux catégories de personnes : les victimes du système, comme les mineurs, et les adultes juridiquement responsables qui ont rejoint le jihadisme consciemment et qui connaissaient son dessein politique. Tout cela dépend de la position du curseur".
La différence entre les victimes et les vrais responsables devra, in fine, être établie par la justice. En attendant, François Hollande a annoncé lundi 24 mars, lors d’un conseil de défense restreint consacré en partie à la radicalisation violente, qu’"une stratégie a été adoptée et un plan d’actions a été décidé".
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