La peine de mort n’a pas d’avenir en Afrique
Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France.
Le rapport sur la peine de mort d’Amnesty International pourrait laisser croire que 2013 marque un recul vers l’abolition de ce châtiment barbare. Toutefois, même si nous pouvons regretter que 22 États aient procédé à 778 exécutions (hors Chine et Corée du Nord pour lesquels aucune information fiable n’existe) contre 21 en 2012, des progrès ont été constatés dans toutes les régions du monde et la tendance à long terme est inéluctable : la peine de mort recule et les pays qui la pratiquent sont de plus en plus en plus isolés. Aujourd’hui, seulement environ un sur dix pays à travers le monde exécutent encore des personnes.
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Des progrès encourageants pour Amnesty International qui depuis les années 1970 se bat inlassablement pour mettre fin à ce châtiment cruel et inhumain ultime, une violation du droit humain fondamental à la vie. Heureusement, nous ne sommes pas seuls – les trois dernières décennies et demi ont vu des progrès presque ininterrompus vers l’abolition.
Le Nigeria, le Soudan et la Somalie – ont totalisé plus de 90 % de ces exécutions.
Une tendance portée par l’Afrique où seule une minorité d’États continue de pratiquer la peine capitale. Cette année encore, cinq pays ont exécutés 64 personnes, soit plus 50% par rapport à l’année précédente, une augmentation particulièrement choquante, d’autant qu’elle est portée par trois pays qui continuent de se cramponner à cet homicide prémédité.
Le Nigeria, le Soudan et la Somalie – ont totalisé plus de 90 % de ces exécutions et sont également responsables des deux-tiers de l’ensemble des condamnations à mort prononcées dans la région, avec des hausses spectaculaires au Nigeria et en Somalie.
En Somalie, 15 personnes auraient perdues la vie sous les balles de pelotons d’exécutions du gouvernement fédéral, principalement des soldats jugés par des cours militaires pour meurtre, et 19 dans la région semi-autonome du Puntland, dont des membres présumés du groupe al Shabab.
Au Soudan, 21 personnes ont été exécutées dont trois Darfouris pour vol à main armée et cinq hommes auraient été pendus pour le meurtre d’un fermier dans le Nord Kordofan. Surtout, le Soudan continue à utiliser la peine de mort pour poursuivre les opposants politiques réels ou supposés. Une centaine de condamnation auraient été ainsi prononcées au cours de l’année. Le Code des forces armées soudanaises a été amendé pour permettre de juger des civils par des cours militaires.
Quatre hommes ont été envoyés au gibet en juin au Nigeria sans que les familles en soient informées et alors que les appels étaient en cours. Des exécutions qui avaient reçu le feu vert du président Goodluck Jonathan, mettant en péril plus de 1 000 condamnés à mort. Une décision d’autant plus regrettable qu’en 2011 le gouvernement fédéral avait confirmé un moratoire et qu’aucune exécution n’avait eu lieu depuis 2006.
Début 2014, le tribunal régional de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a ordonné au gouvernement nigérian de ne plus procéder à des exécutions ; au mois de mars, le ministre nigérian de la Justice a confirmé que le gouvernement allait se conformer à cette décision.
Et malgré ces revers, l’évolution vers l’abolition se poursuit en Afrique. À ce jour, plus des deux-tiers des 54 États membres de l’Union africaine (UA), à savoir 37 pays, ont aboli la peine capitale en droit ou en pratique. Depuis dix ans cinq pays l’ont ainsi totalement aboli. En 2013, le Bénin, les Comores, le Ghana, le Libéria et la Sierra Leone ont à l’étude des projets de révision constitutionnelle ou de leur droit pénal incluant l’abolition de ce châtiment inhumain. Les Républiques de Centrafrique et du Congo lors de leur examen périodique universel devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies ont accepté d’abolir la peine de mort et de ratifier le deuxième protocole optionnel au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La Guinée Bissau a ratifié ce protocole et l’Angola l’a signé. Quand à la Gambie elle n’a pas procédé à des exécutions et plusieurs Etats ont commué des sentences de mort en peine de prison.
Des avancées soutenues par la déclaration du Ministre de la Justice tanzanien Mathias Chikawe : "une condamnation est destinée à faire changer un criminel. La peine de mort ne fait changer personne et n’a aucun effet dissuasif sur la criminalité".
Il est choquant que les politiciens jouent avec la vie des gens pour gagner des voix en faisant appel à l’émotion populaire.
Un message que devrait entendre les gouvernements qui utilisent la peine de mort pour prouver qu’ils sont "durs envers les criminels". Il est choquant que les politiciens jouent avec la vie des gens pour gagner des voix en faisant appel à l’émotion populaire, en particulier à la suite de crimes horribles, quand ils savent que la peine de mort est sans efficacité pour faire reculer la criminalité.
Il est également faux de faire croire que seuls sont condamnés et exécutés les responsables des crimes les plus odieux. En 2013, des personnes ont été exécutées, entre autres, pour infractions aux législations relatives aux drogues ou pour avoir des liens présumés avec des groupes d’opposition politique. Des personnes ont été condamnées pour vol à main armée même dans des cas où personne n’avait été tué.
Pour Amnesty International s’opposer à la peine de mort n’est pas demander l’impunité pour les criminels ni de minimaliser les souffrances des victimes. Les personnes reconnues coupables, après un procès équitable, doivent être punies mais la peine de mort est le meurtre prémédité et irréversible d’un prisonnier qui a déjà été soustrait à la société.
Depuis quelques années, des avancées significatives ont eu lieu en Afrique et elles se poursuivent. Une évolution positive qui inspire le mouvement abolitionniste mondial. Un espoir qu’une poignée d’États ne peut et ne doit briser.
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