Chloé Faouzi : « Les déplacements forcés de migrants à l’intérieur du Maroc sont illégaux »
La coordinatrice du centre d’aide aux migrants de l’association Caritas à Rabat, Chloé Faouzi, explique pourquoi elle ne peut faire face au récent afflux de migrants subsahariens en provenance du nord du royaume. Pour elle, les refoulements pratiqués par les autorités s’apparentent à des « déplacements forcés ». Interview.
Le 21 mars dernier, le centre de l’association Caritas (relevant du Secours catholique) à Rabat a dû fermer ses portes face aux flux de migrants subsahariens refoulés par les autorités marocaines de la zone des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilia vers le centre du royaume. Depuis le 1er mars, le centre avait reçu 1 500 migrants, en grande partie refoulés, pour lesquels il a fourni l’assistance médicale et sociale. "Du jamais vu", selon sa coordinatrice Chloé Faouzi.
Jeune Afrique : Pourquoi avez-vous fermé votre centre de Rabat ?
Chloé Faouzi : Caritas a mis en place un centre d’accueil de jour à Rabat depuis 2005, proposant différents services aux migrants les plus vulnérables. Depuis le début de décembre 2013, ce centre a été sollicité de façon croissante par des personnes arrêtées par les forces de l’ordre au nord du Maroc et laissées sans abri ni aucune sorte d’assistance à Rabat (comme dans d’autres grandes villes de l’intérieur du pays).
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Nous avons dû le fermer car nos moyens d’intervention sont totalement inadaptés pour répondre à cette crise humanitaire. Nous intervenons habituellement pour apporter un accompagnement dans la durée aux migrants afin de faciliter leur accès aux droits et leur intégration. Cette crise a transformé en quelques mois nos interventions : filtrage à l’entrée, mise en place d’un dispositif de sécurité, priorisation des aides de premières urgences, impossibilité d’effectuer un suivi des situations…
La prise en charge des blessés, arrivés à Rabat sans soins ou avec des premiers soins sommaires, a montré les limites de nos capacités.
C’est notamment la prise en charge des blessés, arrivés à Rabat sans soins ou avec des premiers soins sommaires, qui a montré les limites de nos capacités mais aussi celles des structures publiques environnantes. Les centres de santé alentours ont été littéralement débordés, et certains rendez-vous avec le service de traumatologie du Centre Hospitalier Universitaire sont donnés avec un délai d’un mois.
Selon vous, quelle est la solution à cette crise ?
Je tiens d’abord à signaler en premier lieu que la fermeture du centre n’est pas en soi LE problème. Cette crise ne trouvera pas d’issue par la seule mise en place de moyens renforcés et d’un dispositif d’assistance adapté à Rabat. Il faut lutter contre la recrudescence des violences à l’encontre des migrants aux alentours des enclaves espagnoles, contre la multiplication des arrestations sans aucun respect des procédures individuelles et contre l’apparition d’une pratique sécuritaire – les déplacements forcés à l’intérieur du pays – qui a lieu hors de tout cadre légal.
Pourquoi sont-ils refoulés au centre du pays, à Rabat ?
Les associations membres de la Plateforme protection-migrants (un collectif d’organisations de soutien et de défense des droits des migrants au Maroc) ont alerté les autorités marocaines dès le début du mois de décembre sur cette pratique illégale, et à plusieurs reprises ensuite. Mais nous n’avons obtenu jusque là aucune explication, et même plus : l’existence de ces "déplacements forcés" n’est pas reconnue officiellement.
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C’est donc une pratique nouvelle de la part du Maroc…
Oui tout à fait. En plus, éloigner les migrants des frontières n’a pas de sens puisqu’ils y reviennent. Ceci risque aussi de décrédibiliser l’ensemble du processus d’intégration des migrants subsahariens mis en place par le Maroc qui est, en soi, très positif.
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Propos recueillis par Nadia Lamlili
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