Kristel Malegue : « L’eau est un investissement rentable pour l’avenir »
En 2000, l’ONU avait fait de l’accès à l’eau potable l’un des axes majeurs des Objectifs du millénaire pour le développement. À l’heure du bilan, les résultats sont en demi-teinte. Kristel Malegue, coordinatrice de la Coalition Eau qui regroupe 28 ONG françaises engagées pour promouvoir un accès durable à l’eau potable et à l’assainissement pour tous, répond à nos questions.
Jeune Afrique : Quels étaient les Objectifs du millénaire pour le développement ayant trait à l’accès à l’eau potable ?
Kristel Malegue : Les Objectifs du millénaire pour le développement ont été déterminés dans les années 2000. L’objectif était alors de réduire de moitié le nombre de personnes n’ayant pas accès à l’eau potable et à l’assainissement d’ici 2015. Aujourd’hui, les Nations unies estiment que l’on a d’ores et déjà atteint cet objectif. Mais selon nous, ce n’est pas le cas pour deux raisons.
Premièrement, les Nations unies ne tiennent pas compte des disparités au sein des pays. Par exemple, il faut savoir qu’en Afrique, il n’y a que 19 pays sur 50 qui sont en voie d’atteindre l’objectif proposé par l’ONU. Deuxièmement, l’indicateur retenu ne s’intéresse pas à la fracture entre milieu urbain et rural. En Afrique, la majorité de la population vit en milieu rural. Sachant que c’est là où se concentrent les plus gros besoins, l’évaluation des Nations unies est logiquement biaisée.
En outre, il y a un gros problème d’interprétation des chiffres. L’indicateur des Nations unies prend en compte les sources d’eau améliorées, c’est-à-dire les sources protégées de la contamination des matières fécales. Or, même si ces sources sont protégées de la contamination, cela ne signifie pas pour autant que l’eau soit véritablement potable. Les résultats sont donc faussés. Et la réalité des chiffres moins heureuse.
Géographiquement, où se trouvent les besoins les plus importants ?
En Afrique subsaharienne principalement. C’est vraiment là que se concentrent les plus forts besoins. La Mauritanie et le Niger, deux pays où la majorité de la population vit en milieu rural, paraissent être les plus touchées.
Chaque année, près de deux millions d’enfants meurent du fait de maladies liées au manque d’hygiène.
Quelles sont les conséquences du manque d’assainissement et d’accès à l’eau potable ?
Pour les pays concernés, cela va peser à différents niveaux. D’un point de vue sanitaire, le manque d’hygiène constitue l’une des premières causes de maladie à l’échelle planétaire. C’est notamment la première cause de mortalité des enfants de moins de cinq ans. Chaque année, près de deux millions d’enfants meurent du fait de maladies liées au manque d’hygiène.
Le problème de l’eau engendre également des conséquences indirectes sur l’éducation. Contraints d’aller faire la corvée d’eau ou victimes de maladies diarrhéiques, beaucoup d’enfants ne peuvent aller à l’école. Il en résulte un fort absentéisme scolaire que l’on estime à près de 270 millions de jours d’école manqués. D’ailleurs, ce sont principalement les jeunes filles qui pâtissent de cette situation. Enfin, le manque d’accès à l’eau a aussi des répercussions sur l’alimentation. Si 842 millions d’êtres humains souffrent de la faim dans le monde, cela tient aussi au fait qu’elles n’ont pas accès à l’eau pour pouvoir produire.
Ainsi, si l’on prend en compte les pertes de temps, de productivité et les arrêts maladie, on peut estimer à 260 milliards de dollars le coût que représente chaque année le manque d’assainissement et d’accès à l’eau potable. Investir dans ces deux domaines permettrait d’aider la croissance et surtout d’enrayer le mal développement du pays. Selon nos calculs, chaque dollar investi pourrait en rapporter huit. Notre objectif est donc de faire comprendre aux gouvernements qu’il ne s’agit pas là uniquement d’un coût mais d’un investissement rentable pour l’avenir.
Certains pays comme l’Afrique du Sud ont adopté le Droit à l’eau dans leur Constitution.
Peut-on citer des États africains qui montrent le bon exemple ?
En mettant en lumière la problématique de l’accès à l’eau et à l’assainissement, les Objectifs du millénaire pour le développement ont poussé de nombreux États à se mobiliser. Parmi eux, certains pays comme l’Afrique du Sud ont adopté le Droit à l’eau dans leur Constitution. D’autres, notamment le Burkina Faso et le Sénégal ont mis en place des plans nationaux de développement pour l’eau et l’assainissement.
Sur le papier, ces plans sont censés permettre une amélioration de la situation. Dans la réalité, il est assez difficile de savoir ce qu’il en retourne exactement. Et pour cause, ces plans manquent aujourd’hui de moyens financiers et de volonté politique pour les mettre matériellement en œuvre.
Malgré cet écart entre les paroles et l’action, certaines avancées ont été constatées, notamment en Afrique de l’Ouest. La Mauritanie reste certes un peu à la traîne mais le Sénégal s’est beaucoup mobilisé ainsi que le Burkina et le Niger. Ils ne sont pas tous au même niveau mais il y a une réelle volonté de rattrapage.
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Propos recueillis par Olivier Liffran
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