Racisme : quand un journaliste du « Point » compare Taubira à une analphabète des colonies

Mercredi, un journaliste de l’hebdomadaire français « Le Point » a provoqué un tollé en publiant sur Twitter une gravure du 19e siècle. Son intention : comparer Christiane Taubira à une femme noire analphabète à laquelle un « maître » blanc apprendrait à lire.

La gravure du 19e s. publiée par le journaliste Frédéric Lewino. © DR

La gravure du 19e s. publiée par le journaliste Frédéric Lewino. © DR

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Publié le 14 mars 2014 Lecture : 3 minutes.

"Bête". "Raciste". "Misogyne". "Débilissime" même, selon les propres dires de la direction de la rédaction de l’hebdomadaire Le Point. En un tweet, le journaliste Frédéric Lewino a réussi à s’aliéner une bonne partie de la twittosphère et l’ensemble de ses "confrères". En cause : la publication d’une image représentant une femme noire apprenant à lire. Une gravure du 19e siècle, colonialiste, à laquelle Lewino a ajouté une légende : "Le procureur François Faletti apprenant à lire à Christiane Taubira."

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Tourbillon médiatique

Frédéric Lewino entendait ainsi évoquer l’actualité de la Garde des Sceaux. Christiane Taubira est en effet dans la tourmente alors que la presse française a prouvé qu’elle était au courant des écoutes ordonnées à l’égard de l’ancien président français Nicolas Sarkozy, ce qu’elle avait auparavant plus ou moins démenti.

Le procureur général de Paris, François Faletti a ainsi confirmé un article du Canard enchaîné selon lequel Christiane Taubira disposait dès le 26 février d’informations sur les écoutes de l’ancien chef de l’État. "On informe sur l’existence d’une information qu’on ouvre, sur les qualifications et un certain nombre d’éléments qui permettent de comprendre quelle est l’origine de l’information et quelles sont les perspectives", a précisé le magistrat à la radio RTL.

La ministre de la Justice a fini par confirmer l’information en ajoutant en revanche qu’en dehors de ces éléments de contexte, elle n’était pas au courant du contenu précis des écoutes. Cela n’a cependant pas empêché ses adversaires politiques, notamment à l’UMP, à qui les informations judiciaires en cours autour de Nicolas Sarkozy donnent des sueurs froides, de réclamer sa démission.

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"Je ne suis pas raciste"

Contacté par Le Nouvel Observateur, Frédéric Lewino détaille sa démarche : "Depuis trois mois, je m’amuse à poster sur Twitter un détournement humoristique d’une gravure du 19e, comme le faisait déjà mon père, le journaliste Walter Lewino, dans Le Point". "Chaque jour, je recherche ce qui est le plus saillant dans l’actualité", ajoute-t-il. Et d’expliquer : "Aujourd’hui, on ne parle que de Christiane Taubira, qui aurait menti sur sa connaissance des écoutes de Nicolas Sarkozy. Je me suis donc mis en quête de l’image d’une femme noire."

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>> Lire aussi "Racisme : les insultes envers Christiane Taubira, grave dérive de la société française" et "Taubira caricaturée en singe : relents racistes autour de la ‘Manif pour tous’"

Qu’importe le caractère raciste, colonialiste et, au passage, sexiste de la représentation en question. Qu’importe également la comparaison peu appropriée entre une femme analphabète et une ministre de la Justice passionnée de littérature et un temps évoquée au portefeuille de la Culture en cas de remaniement.

"Si on lit mes articles, on se rend bien compte que je ne suis pas raciste. Ce tweet était dans la continuité de mon compte, je tape sur la droite, la gauche, les Blancs, les Noirs", se justifie l’incompris, qui regrette le manque d’humour au second degré sur le réseau social. "J’ai supprimé mon tweet sur Toubira [sic] car mal interprété. Désolé si j’ai heurté certains par ce dérapage non voulu. Merci de m’en avoir averti", écrira-t-il quelques heures plus tard.

Encore un martyr de la liberté d’expression ? Libre à chacun d’en douter. Quoi qu’il en soit, ces lignes de Christiane Taubira, publiées quelques jours plus tôt chez Flammarion dans son livre "Paroles de liberté"*, pourraient servir de réponse anticipée au journaliste du Point :

"Aurais-je quelque chose à leur dire ? Rien. Ni aux uns, ni aux autres. La parole est une relation. En prétendant m’expulser de la famille humaine, ils se sont, par perfidie ou par bêtise raciste, et de leur propre fait, exclus de toute conversation. Ils se sont interdits à mon univers. Et si j’occupe le leur, c’est leur affaire. Rien à leur dire donc."

*"Paroles de liberté", Flammarion, 139 pages, 12 euros.

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Par Mathieu OLIVIER

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