Sauvage comme une image ?

Dans la politique africaine règnent aujourd’hui en maître les images de toutes sortes. Entre manipulation et décryptage permanent, le cliché choc n’est plus l’apanage des paparazzi.

L’oeil de Glez. © Glez

L’oeil de Glez. © Glez

 © GLEZ

Publié le 13 mars 2014 Lecture : 4 minutes.

Le "Blaguer tuer" que dénonçait Tiken Jah Fakoly a fini d’éroder la confiance des populations africaines dans le poids des mots. Il reste le choc des photos, si l’on s’en tient au slogan d’un célèbre hebdomadaire français. À l’heure où tout s’enregistre, en in ou en off, sur un mode professionnel ou amateur, l’image semble faire la loi dans la vie politique et sociale africaine.

Depuis longtemps, la photographie est l’instrument respectable d’un journalisme indispensable, une source d’information et un langage à part entière. La situation du continent africain, en particulier, ne cesse de fournir une respectable matière aux JRI (Journalistes reporters d’images). En témoigne le 57e prix World Press attribué récemment à l’Américain John Stanmeyer pour un cliché pris sur une plage de Djibouti. On y voit un groupe de migrants africains brandissant leurs téléphones vers le ciel dans l’espoir de capter un réseau en provenance de la Somalie voisine. Magnifique photographie où des écrans de portables semblent répondre au halo de la lune. Symptomatique scène, également, qui évoque notamment la technologie omniprésente, même chez les plus désemparés, technologie qui, justement, permet de… prendre des photos.

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Poses "humanitaires"

À l’heure des réseaux sociaux, ce n’est évidemment pas toujours la photo instructive qui franchit les barrières de la notoriété. Quelle image fait-elle le buzz ces derniers temps ? Pas celle qui évoque la misère des migrants, mais celle qui tente de capter la projection de vomi d’Oscar Pistorius dans un seau fourni par le tribunal qui abrite son procès. Ou celle d’une star de la téléréléalité, Ayem Nour, étalant à l’envi, sur Instagram, ses "poses" prétendument "humanitaires" la mettant en scène avec de petits Gabonais instrumentalisés pour donner une épaisseur humaine à la vedette de pacotille.

Dégoulinantes de bons sentiments préfabriqués, les prises de vue et les incontournables "selfies" agrémentés de hashtags benêts pétrissent l’émotion brute. Quelle est cette "photo qui émeut la planète", pour reprendre le titre grandiloquent d’un magazine ? La poignée de main entre deux frères ennemis d’une crise africaine ? Non, le câlin du footballeur brésilien Neymar et d’un petit garçon sud-africain glissé inopinément sur la pelouse du récent match Afrique du Sud/Brésil.

Le regard du lecteur accroché, les éléments d’une manifeste mise en scène peuvent diffuser leur message.

La force médiatique de l’image n’a pas échappé aux politiciens africains. Et les voilà plus préoccupés par les clichés qui circulent, photoshopés parfois, que par les résultats politiques qui sont annoncés. Ils auraient beau jeu de dire que l’arrêt sur image est devenue le sport favori des lectorats africains, bien avant la lecture des analyses.

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Il existe alors deux positions extrêmes : celle du politicien que l’on tente de dissimuler et qui veut se faire voir et celle du responsable politique qui voudrait bien se cacher, mais dont on considère la moindre prise de vue comme un diagnostic médical. Syndrome Blé Goudé ou syndrome Abdelaziz Bouteflika

Qu’est-ce qui fait parler de l’oublié Charles Blé Goudé ? Une série de photographies qui a fait la une de la majorité des quotidiens ivoiriens, ce lundi, après publication sur Facebook. La transformation physique de l’ex-leader des Jeunes patriotes – barbe fournie comme celle de Saddam Hussein après des semaines de disparition – suscite l’attention.

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Le regard du lecteur accroché, les éléments d’une manifeste mise en scène peuvent diffuser leur message. Dénuement ou nudité ? Le torse nu de Blé Goudé évoque des conditions d’incarcération spartiates que l’on pourrait juger indécentes pour un ancien ministre. Et le décor de faire le reste, de la literie approximative, à même le sol, aux murs décatis de ce qui ressemble davantage à un cachot qu’à un lieu de résidence surveillée. Et les accessoires d’enfoncer le clou : bible à la main, Blé Goudé apparaît comme un repentant.

Manque de clarté

Manipulation ? Les photographies, difficiles à dater, ne "disent" pas si la scène relève de la réclusion temporaire à la fin d’une cavale expliquant une barbe qui relèverait du déguisement ou si elle décrit l’emprisonnement permanent d’un présumé innocent que ses avocats n’auraient pas rencontré depuis août 2013. Ces photos ambiguës pourraient donc avoir l’intérêt de pousser les autorités ivoiriennes à plus de clarté.

Autre politicien africain confronté à la gestion de son image : le président algérien dont l’entourage diffuse les clichés avec parcimonie et de manière la plus contrôlée qui soit. Lors du dépôt de candidature d’Abdelaziz Bouteflika au Conseil constitutionnel, la mèche était bien gominée sur le pourtour du crâne et la prise de vue était suffisamment furtive pour que la main la plus valide du candidat soit surexploitée au mieux. Mais l’effort du président pour chuchoter pendant 14 secondes était manifeste. Et les conseillers en image savent que l’heure est au décryptage permanent, que toute tentation de manipulation – même sur la base d’images non trafiquées – serait contreproductive.

L’impertinent Petit Journal de la chaîne française Canal + n’a-t-il pas décortiqué le montage vidéo de la rencontre Ayrault-Boureflika au point que la volonté de masquer ou minimiser une fragilité présidentielle était apparue au grand jour ? Les populations aguerries aux écrans de toutes sortes ne sont guère plus exigeantes, mais elles sont de moins en moins dupes…

 

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Damien Glez

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