Les Étonnants voyageurs, entre politique et fiction
Après un quart de siècle d’existence, les Étonnants voyageurs n’ont pas encore usé leurs semelles de vent. Cette fois, c’est entre Rabat et Salé (Maroc), sur les rives du Bouregreg, face à l’Atlantique mais pas trop loin de la Méditerranée, que le Festival littéraire itinérant a fait escale, s’immobilisant du 6 au 9 mars pour une série de rencontres et de débats.
Rassembler quelque 90 auteurs en tous genres – romanciers, dramaturges, poètes, conteurs, chanteurs, etc. – n’est jamais, nulle part, une mince affaire. Parce que leur parole est, la plupart du temps, libre. Mieux : elle échappe à tout contrôle. C’est donc à juste titre que Mohammed Amine Sbihi, le ministre de la Culture du Royaume a, lors du lancement officiel de la manifestation à la Bibliothèque nationale du Maroc, célébré ce qu’il considère comme "un lieu de liberté et de partage". De toute manière, il serait fort déraisonnable de croire qu’un écrivain comme l’Algérien Boualem Sansal ou qu’une blogueuse comme la Tunisienne Lina Ben Mhenni puisse, ou veuille, s’autocensurer.
Et quand on donne un micro à un écrivain, il faut s’attendre à tout. Bien sûr, le sujet est la littérature. Mais en fait non, le sujet c’est l’humanité, le monde comme il va et comme il ne va pas. Ainsi, lors d’un des tous premiers débats du Festival consacré au livre Histoires minuscules des révolutions arabes (Chèvrefeuille Etoilé, 2012), les auditeurs présents ont pu se faire une idée du caractère éminemment politique de la fiction. "Je continue de penser, même si le mot fait peur, que l’écrivain a un rôle moral à jouer, s’est exclamée l’auteure et avocate algérienne Wassyla Tamzali. Il faut savoir de quel côté vous êtes !" Inachevées, encore en cours, porteuses de changements radicaux, les "révolutions arabes" constitueront sans nul doute l’un des principaux fils directeurs de cette édition marocaine d’Étonnants voyageurs.
Pour Wassyla Tamzali, qui a rassemblé dès 2011 plus d’une quarantaine d’histoires consacrées aux printemps arabes, la fiction reste le plus sûr moyen de parler de politique sans risquer d’être dépassé par les événements. "Les textes d’analyse de l’époque nous tombent des mains aujourd’hui, dit-elle. La fiction reste essentielle pour saisir l’intime." Un point de vue défendu de la même manière par l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun : "Stendhal écrivait ‘Tous les arts sont fondés sur un certain degré de fausseté » et je pense que c’est justement ce degré de fausseté qui permet d’atteindre la vérité.’
Que ceux que les citations d’auteurs et les dissertations style "sujet du bac" ennuient se rassurent : les débats peuvent réserver bien d’autres surprises. Il y a bien sûr l’incontournable intervenant qui pose des questions que personne ne comprend, l’étudiante qui demande, ingénue, "pourriez-vous m’expliquer le concept du débat", et enfin, il y a l’auteur qui mord. Enfin, au figuré. Ainsi Wassyla Tamzali ne s’est pas gênée pour montrer les crocs à l’administration de son pays. "Je suis une déçue des utopies qui avaient court dans les années 1960 et 1970, a-t-elle déclaré. En Algérie, avec le FLN, le mot ‘peuple’ a plombé nos vies. Nous n’avions pas le droit d’être des individus, et encore moins ‘une’ individu. Avec le Printemps arabe, nous avons assisté pour la première fois à un surgissement d’individus. Les Tunisiens nous ont montré le chemin. Si l’Algérie n’a pas bougé, c’est parce que nous avons trop de pétrole, une armée trop puissante et une société civile déglinguée par le colonialisme." Un premier débat bien prometteur !
Nicolas Michel, envoyé spécial à Rabat
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